Le dossier des nuisances aériennes

Bruit des avions : indemnisation des habitants et des communes riveraines. Reconnaissance de la responsabilité des avions et réparation de différents préjudices

Le développement des aéroports parisiens, Orly et Roissy, ont évidemment causé des nuisances sonores considérables au voisinage, d’autant plus que dans les années 1960, 1970 et 1980 les avions engendraient des nuisances sonores beaucoup plus considérables qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Présentation de l'affaire par Corinne Lepage

Date de l'affaire

Cour de cassation chambre civile 2, 10 mai 1989, Commune de Longjumeau contre Air France, Pan Am, TWA, n°88-10459
Cour d’appel de Paris XVIIe chambre, 23 novembre 1993, Commune de Longjumeau contre Air France, American et TWA Cour de cassation chambre civile 2, 24 mai 1982, Habitants de Goussainville
Cour de cassation, 17 octobre 1984, n°83-13198
Cour d’appel de Paris première chambre, 20 juin 1989, Félix Barrière et autres, requête n° 15 429
Cour de cassation Chambre civile 2, 30 janvier 1991, n°89-19.950

Le cas : Orly

Chronologiquement, le premier dossier concerne le voisinage de l’aéroport d’Orly. Officiellement inaugurée le 24 mai 1961 par le général De Gaulle, l’aérogare Sud-Est a accueilli 9 millions de passagers en 1969, soit moitié plus que sa capacité théorique. L’aéroport Ouest entrera en service en 1971. L’aéroport est implanté sur 7 communes, mais pas moins de 45 communes se plaignent en réalité du bruit et de la pollution de l’air causés par l’activité aéroportuaire. Oubliée du fonds d’indemnisation constitué à la fin des années 1960 pour les communes les plus touchées, la commune de Longjumeau décide à la fin des années 1970 de saisir le tribunal de grande instance de Paris contre trois des compagnies aériennes utilisant cet aéroport, compagnies qui représentaient à elles seules près de 50 % du trafic. Un premier jugement du tribunal de grande instance de Paris reconnaissait la responsabilité des compagnies aériennes sur le fondement de l’article L. 141–2 du Code de l’aviation civile, rejetant néanmoins les demandes d’indemnisation pour dépréciations du patrimoine, perte de salaire des employés municipaux et troubles subis par les habitants. Toutefois, une expertise était ordonnée sur la partie immobilière. Les compagnies aériennes interjetaient appel, et par arrêt en date du 17 novembre 1987, la Cour d’appel de Paris réduisait le pourcentage de responsabilité en raison du transfert du trafic vers un autre aéroport. Par arrêt en date du 10 mai 1989, la Cour de cassation confirmait cet arrêt.
Puis, par un deuxième jugement en date du 11 janvier 1989, le tribunal de grande instance de Paris fixait la liste des bâtiments à insonoriser. Par arrêt en date du 23 novembre 1993, intervenu à la suite du dépôt du rapport d’expertise en 1991, la cour d’appel de Paris condamnait Air France et TWA à insonoriser 13 bâtiments et groupes de bâtiments sur la base du rapport, pour un montant total de 1 538 134 Francs, mettant notamment à la charge d’Air France 384 133 Francs ainsi que 15 381 Francs à la compagnie TWA.
L’arrêt est très intéressant en ce qu’il discute de la nature de l’indemnisation, valide la proposition de l’expert de tenir compte du niveau moyen des émergences sonores et non de l’émergence maximale, et prend en compte le remplacement des avions les plus bruyants par des avions moins bruyants. Au total, la procédure aura duré plus de 10 ans.

Le cas : Roissy

Le cas : Roissy La situation des riverains de Roissy n’était guère plus enviable. En particulier, les habitants de Goussainville se trouvaient directement sous la trajectoire des avions et avait subi un choc particulier du fait d’un accident grave survenu en 1973 lors de la chute d’un Tupolev au-dessus de cette commune.
À la fin des années 1970, une soixantaine d’habitants saisissaient donc le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir condamner les compagnies aériennes Air France, UTA, British Airways, AIR INTER et TWA à réparer le préjudice subi par le bruit et la pollution du fait du survol de leurs habitations proches de l’aéroport de Roissy, ainsi que la perte de valeur vénale de leurs immeubles. Par un premier jugement en date du 16 mai 1979, le tribunal de grande instance de Paris reconnaissait la responsabilité des compagnies aériennes sur la base des articles 1382 du Code civil et L. 141-2 du Code de l’aviation civile. Le tribunal nommait trois experts aux fins d’examiner le lien de causalité des nuisances émises par les compagnies aériennes en fonction des troubles dans les conditions d’existence, des troubles physiologiques et psychophysiologiques. Par arrêt en date du 19 novembre 1980, la Cour d’appel de Paris confirmait cette décision, elle-même confirmée par un arrêt de la Cour de cassation en date du 24 mai 1982.
Par un deuxième jugement en date du 5 novembre 1987, le tribunal de grande instance condamnait les compagnies aériennes sur la base du rapport d’expertise, en reconnaissant le lien de causalité entre l’évolution des avions et les nuisances par compagnies aériennes (les cinq compagnies représentaient 67 % des survols). Le tribunal fixait au 1er juillet 1965 la date à laquelle les personnes installées à Goussainville avaient pu considérer que l’aéroport allait être réalisé puisque la déclaration d’utilité publique datait du 22 juin 1965. S’agissant des dommages, le tribunal validait le rapport d’expertise et reconnaissait l’existence de quatre zones différentes selon l’importance des nuisances. Le tribunal retenait l’existence de gênes dans les conditions d’existence mais rejetait les troubles médicaux ; en outre, il retenait la dépréciation de la valeur vénale des propriétés liées aux nuisances phoniques et aux projections de kérosène, dépréciation comprise entre 10 et 20 %. Par arrêt en date du 20 juin 1989, la cour d’appel de Paris confirmera le jugement en majorant de 30 % les indemnités relatives aux gênes dans les conditions d’existence, revalorisant également la dépréciation des immeubles et ordonnant au surplus la capitalisation des intérêts.

L’importance de l’arrêt

Ces deux affaires sont à l’origine de toute la réglementation et la jurisprudence concernant l’indemnisation des riverains d’aéroport. En effet, les communes riveraines, qui n’avaient pas été incluses dans les premiers fonds d’indemnisation, pourront bénéficier d’aides à l’insonorisation. Les plans d’exposition au bruit qui verront le jour en 1985 et sont aujourd’hui intégrés dans le Code de l’urbanisme détermineront des zones A, B, C et D de bruit définissant les constructions autorisées ou non. Les compagnies aériennes obtiendront pour leur part la reconnaissance par le Conseil d’État que si le bruit leur est imputable, le lieu où il se produit, à savoir le voisinage des aéroports, est imputable à l’État qui en a fait le choix (Conseil d’État, 6 février 1987, Compagnie Air France, requête n°36 586). Le Conseil d’État a en effet jugé que l’implantation et le fonctionnement normal de l’aéroport de Paris étaient la cause directe de certains troubles de voisinages subis par la commune, et qu’en conséquence l’aéroport de Paris devait rembourser à Air France les sommes auxquelles elle avait été condamnée.
Les différentes lois sur le bruit permettront aux populations habitant au voisinage des aéroports de bénéficier d’une aide permettant d’insonoriser les bâtiments.
Des efforts seront réclamés des compagnies aériennes et des aéroports pour déterminer des trajectoires moins bruyantes, et différents organismes seront mis en place pour contrôler le respect des règles et la réalité des mesures de bruit. La Cour européenne des droits de l’homme elle-même, dans un arrêt du 21 février 1990 Powell et Rayner c. Royaume-Uni reconnaîtra que le bruit des avions peut constituer une ingérence dans le respect de la vie privée garantie par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’intérêt aujourd’hui

Les conditions de vie difficiles des riverains d’aéroport, de même que les difficultés des communes qui en subissent les conséquences sans pour autant bénéficier des retombées économiques, restent considérables. L’augmentation constante de la fréquentation de Roissy et l’agrandissement subreptice d’Orly créent des nuisances supplémentaires, d’autant plus que le changement des trajectoires affecte de nouvelles populations.
Les règles communautaires mises en place pour réduire le bruit des avions à proximité des aéroports en particulier de Roissy et d’Orly, ont conduit un certain nombre d’associations et d’élus, mécontents de l’insuffisance des plans de prévention du bruit, à saisir le Conseil d’État qui, par arrêt du 7 mars 2018, a admis la recevabilité des requêtes concernant les partenariat public-privé (PPP) et renvoyé aux tribunaux administratifs le soin de les juger. Néanmoins, le Conseil d’État a refusé de considérer que la transcription de la directive communautaire était insuffisante. Les contentieux continuent mais les compagnies aériennes ont obtenu de ne plus être directement concernées, ces contentieux opposant généralement l’État et les communes et associations riveraines.
L’équilibre s’est donc fait en continuant à imposer aux riverains des nuisances indéniables, en faisant payer des taxes aux compagnies aériennes et en modulant les règles d’urbanisme pour tenir compte des servitudes aéroportuaires.