L’affaire du « Signal«

Affaire spire : un préjudice sans précédent

Immeuble menacé d’effondrement du fait de l’érosion marine / indemnisation des propriétaires.

Présentation de l'affaire par Corinne Lepage

Date de l'affaire

Syndicat secondaire Le Signal : Cour administrative d’appel de Bordeaux, 9 février 2016, req. n°14BX03289 / Conseil d’État, 17 janvier 2018, req. n°398671 / Conseil constitutionnel, 6 avril 2018, DC n° 2018–698

Le cas

La résidence du Signal a été construite au début des années 60, à Soulac-sur-Mer, dans la logique des grands immeubles construits en bord de mer à cette époque, comme par exemple à La Baule. La résidence était alors située à 200 m du rivage. Néanmoins, une forte opposition s’était déjà manifestée contre le maire de l’époque, père du maire actuel, Monsieur Pintat, au motif qu’au début du siècle la mer était beaucoup plus proche de la future construction, à environ 50 m. Le permis de construire a malgré tout été délivré par l’État, mais alors que l’immeuble du Signal devait être le premier d’une série, il sera en réalité le seul. Durant les années 90 et jusqu’au début des années 2000, la mer avançait régulièrement et des travaux étaient constamment réalisés pour réensabler la plage afin de défendre contre l’avancée des eaux. Ainsi, en 2004, la résidence était classée en zone rouge inconstructible dans le PPRI en raison du recul du trait de côte. D’autres zones de la commune de Soulac-sur-Mer subissaient le même classement, et en particulier la zone de l’Amélie. Pourtant, cette zone de l’Amélie faisait l’objet, au contraire de celle du Signal d’importants travaux de consolidation, notamment par la réalisation d’un cordon d’enrochement d’une longueur de 270 m pour éviter le retrait du trait de côte. À la fin des années 2000, les propriétaires du Signal, très inquiets de cette évolution du trait de côte et de l’absence d’investissements de la part du maire diligentaient une expertise contradictoire aux fins de définir, d’une part, les risques auxquels ils étaient confrontés, d’autre part, les travaux qui pouvaient être réalisés. Cette expertise proposait des solutions permettant d’assurer la pérennité de l’immeuble pour une dizaine d’années.
Malheureusement, les grandes tempêtes on conduit à une nette aggravation du phénomène, en conséquence de quoi le maire prenait en 2011 et 2012 une série d’arrêtés pour surveiller l’évolution du trait de côte, prévoyant une évacuation de l’immeuble si la mer se rapprochait de moins de 20 m du bâtiment. En revanche, prétextant le coût trop élevé des travaux nécessaires à la protection de l’immeuble lui-même, le maire refusait toujours toute intervention.
Par courrier en date du 30 janvier 2013, le syndicat secondaire du Signal a ainsi demandé au maire de réaliser les travaux nécessaires pour leur mise en sécurité, conformément aux prescriptions du rapport d’expertise, et au préfet, entre autres, d’enjoindre au maire de réaliser ces travaux.
Du refus de ces deux autorités sont nées deux décisions implicites de rejet que les exposants ont déférées à la censure du Tribunal administratif de Bordeaux. La position soutenue par le maire était principalement que les travaux de défense contre la mer devaient être financés par les riverains en application de la loi 16 septembre 1807 relative au desséchement des marais, escomptant vraisemblablement pouvoir faire démolir l’immeuble aux frais des malheureux propriétaires. Par arrêté en date du 27 janvier 2014, le maire de Soulac ordonnait ainsi l’évacuation de l’immeuble sans aucune limitation de temps, et sans aucune mesure de protection dudit immeuble, de telle sorte qu’il s’est trouvé totalement vandalisé.
Le Tribunal administratif de Bordeaux a ainsi été saisi de l’illégalité de ces décisions, et en particulier la question de la constitutionnalité de la loi Barnier, dont l’interprétation conduisait le préfet à en refuser l’application au cas d’espèce était posée. Par jugement en date du 25 septembre 2014, le tribunal a néanmoins rejeté la requête.
Appel était interjeté devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui, par un arrêt en date du 9 février 2016 a confirmé les termes du jugement et refusé de faire droit à la question prioritaire de constitutionnalité. La Cour confirmait ainsi l’application d’une loi de 1807 applicable aux marais et mettant à la charge des propriétaires les travaux de protection. Ainsi en est-il à ce jour de l’état de notre droit, que les juridictions sont alors contraintes d’appliquer, comme si les questions liées au réchauffement climatique et à l’érosion des côtes avaient quelque chose à voir avec un texte vieux de 2 siècles et qui ne concernait pas la mer. La Cour refusait également de voir quelque rupture d’égalité devant les charges publiques dans le traitement différent de la zone de l’Amélie, au motif qu’il s’agissait d’une plage publique surveillée, malgré que le maire et toute sa famille y habitaient et y avaient ainsi des intérêts économiques importants.
Enfin, la Cour refusait de considérer que la procédure d’expropriation pour risque au titre de la loi Barnier aurait dû être engagée, au motif que le risque de submersion marine ne menaçait pas alors les vies humaines.
Un pourvoi en cassation a été diligenté devant le Conseil d’État qui, par un arrêt en date du 17 janvier 2018, sur les conclusions du Rapporteur public Louis Dutheillet de Lamothe a reconnu le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité qui était posée, et décidé de son renvoi au Conseil constitutionnel. Il a estimé à cet effet que les dispositions de l’article L.561–1 du code de l’environnement – c’est-à-dire la loi Barnier – en raison du risque d’effondrement de l’immeuble consécutivement à un phénomène d’érosion côtière devaient bien être regardées comme applicables au présent litige.
Par décision rendue le 6 avril 2018, le Conseil Constitutionnel a toutefois décidé d’exclure l’application de la loi Barnier au risque d’érosion côtière, considérant qu’elle ne pouvait être regardée comme un dispositif de solidarité pour tous les propriétaires exposés à un risque naturel. En conséquence, il rejetait la requête. Si le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé sur le fond, le pronostic peut néanmoins être mesuré.

La portée de ces décisions

Le dossier du Signal est hautement symbolique ; il a été largement médiatisé en France et en Europe, notamment en raison de ce que les victimes se sont de fait désignées comme les premiers réfugiés climatiques de France. Il est évident que la législation est totalement inadaptée. Le fait qu’une loi de 1807 puisse valablement mettre à la charge des riverains de la côte atlantique les dépenses de protection contre la mer est à la fois une anomalie juridique et un anachronisme au regard de la réalité du changement climatique. Refuser l’application de la loi Barnier au risque d’érosion côtière ne tient pas davantage compte du fait que l’effondrement de la dune qui résulte du retrait du trait de côte est parfaitement assimilable à l’effondrement d’une zone de montagne qui, elle, est parfaitement couverte par la loi Barnier.
En réalité, le refus de faire application de la loi Barnier en l’espèce a une explication qui n’est pas seulement juridique, mais aussi et surtout financière. En effet, dans la mesure où l’affaire du Signal est la première du genre, mais certainement pas la dernière compte tenu du recul du trait de côte sur toute la côte atlantique, l’État refuse de s’engager dans une voie financière qui incontestablement se révélera coûteuse. Le refus de voir dans la loi Barnier une loi de solidarité à l’égard de ceux de nos concitoyens qui subissent les risques naturels est d’autant plus choquant que lors de la tempête Xynthia, l’État avait précisément modifié la loi Barnier pour permettre le jeu de la solidarité nationale et l’indemnisation des propriétaires concernés.
L’intérêt du dossier est précisément de poser très clairement la question des conséquences indemnitaires de l’érosion des côtes, question qui ne peut évidemment être détachée de celle de la constructibilité sur le littoral.

L’intérêt actuel de ces décisions

Cette affaire n’est évidemment pas achevée, l’injustice de la situation est telle que le Parlement s’en est saisi. Un amendement a ainsi été présenté pour permettre une indemnisation à hauteur de deux tiers de la valeur des biens concernés. Le débat est ouvert et l’est encore plus largement dans le cadre du projet de loi Elan, discuté avant le Parlement à l’heure à laquelle ces lignes sont écrites. Il est à cet égard stupéfiant de voir que les parlementaires et le gouvernement voudraient réduire les mesures de restrictions de construction prévues par la loi Littoral. Une telle politique, consistant d’une part à encourager la construction dans les espaces proches du rivage et, d’autre part, à refuser de prendre en considération les conséquences financières des démolitions inéluctables liées à l’avancée de la mer ne peut que nous interroger, et nous inviter à suivre ces évolutions avec la plus grande attention…