L’AFFAIRE DE L’AUTOROUTE A400 OU LA REPETITION POSITIVE DE L’AFFAIRE DE LA ROCADE DE LA BAULE

L’AFFAIRE DE L’AUTOROUTE A400 OU LA REPETITION POSITIVE DE L’AFFAIRE DE LA ROCADE DE LA BAULE

Par un arrêt d’Assemblée, c’est-à-dire la plus haute formation du Conseil d’Etat, rendu le 28 Mars 1997, le Conseil d’Etat a annulé un décret du Premier Ministre déclarant d’utilité publique et urgents les travaux de construction de l’autoroute A400 entre Annemasse et Thonon les Bains dans le Département de la Haute Savoie.

C’était la première fois et pourrait-on dire, la rare fois, que la plus haute juridiction administrative française annule un projet important du gouvernement telle qu’une autoroute ; les autoroutes comme les aéroports, les lignes de chemin de fer ou les centrales nucléaires sont généralement considérées par le Juge administratif supérieur comme en quelque sorte revêtues d’une présomption d’intérêt général irréfragable, ce qui fait que les contentieux concernant ces sujets ont, en général, peu de chances d’aboutir.

La création de la ligne à grande vitesse ferroviaire Poitiers-Limoges, affaire dans laquelle le Conseil d’Etat a annulé la déclaration d’utilité publique de la ligne à grande vitesse dite « LGV Poitiers-Limoges » en est une autre et rare illustration. On trouvera un commentaire détaillé de cette annulation dans la revue Energie, Environnement, Infrastructures n° 6 de Juin 2016 (Comm. 50).

C’est dire tout l’intérêt qui s’attache à cette première qu’a constitué l’affaire de l’autoroute A400 qui présente une certaine symétrie mais dans le sens contraire avec l’affaire de la rocade de la Baule (voir cette affaire dans le présent ouvrage).

Tout d’abord, de quoi s’agissait-il ?

Le cas

Le projet de l’administration était de réaliser une autoroute sur une distance de 35 kilomètres (cette autoroute étant en quelque sorte un démembrement de l’autoroute A40 (Mâcon-Saint Gervais)) qui devait relier le sud de la Ville d’Annemasse à la Ville de Thonon les Bains.
L’aboutissement de cette liaison autoroutière avait été limité à Thonon les Bains car, dans la conception primitive, elle aurait dû aller jusqu’à la frontière suisse à Saint Guingolph ; or, la vérité est que la Suisse ne tolère pas les poids lourds.
C’était en réalité une autoroute qui se terminait en cul de sac !
L’autoroute même si elle ne servait pas à grand-chose et d’autant plus que les Villes d’Annemasse et de Thonon les Bains se reliaient par la route nationale 206 puis par option par la route nationale 5 soit la route départementale 903, ces deux trajets ayant une longueur égale ou inférieure à celle de l’autoroute projetée et comportant des tronçons à 2 x 2 voies.
Voilà une parfaite illustration de la théorie absurde de casser des œufs sans vouloir réaliser d’omelette.
L’inutilité publique était évidente et il fallait le clamer haut, ce que firent les opposants lors de l’enquête publique.
Pour cela, comme dans l’affaire de la rocade de la Baule, il fallait mettre en place un puissant dispositif d’attaque. De très nombreuses Associations et de très nombreux particuliers se sont portés requérants devant le Conseil d’Etat.
On citera, le requérant principal, l’Association contre le projet de l’autoroute transchâblaisienne, l’Association d’aménagement du quartier de Genevray, la Fédération Rhône Alpes dans la protection de la nature, la Fédération Nationale des Associations d’usagers de transport, le Comité anti-bruit et de défense de l’environnement rhônalpin, l’Association Protection Santé Environnement et de très nombreuses Communes et encore bien d’autres.
C’était là encore en quelque sorte la manifestation de la volonté locale contre la volonté de l’Etat.
Ce n’est pas la même chose d’attaquer un décret par un seul requérant et de l’attaquer par toute une communauté et toutes les Communes avoisinantes. C’est ce que l’on peut entendre par puissant dispositif d’attaque qui est constitué par l’alliance très fréquente dans le domaine de l’environnement entre les Associations, les particuliers et les collectivités locales.
Le raisonnement du Conseil d’Etat s’est fondé sur le fait que le trafic prévu était estimé à environ 10.000 véhicules par jour et que le coût de construction était évalué à 80 millions de Francs du kilomètre soit plus de 2,6 milliards de Francs pour la totalité du tracé, soit aujourd’hui un peu plus de 400 millions d’€uros.
Le Conseil d’Etat en a déduit, dans une équation bilan coût/avantages, que le coût financier au regard du trafic attendu devait être regardé à lui seul comme excédant l’intérêt de l’opération et comme de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique.
On relèvera, et c’est un détail, que le même jour, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat faisait droit au recours au nom de la Ville de Genève et autres, en fait 60 Commune de Suisse contre le décret permettant le démarrage de la centrale nucléaire de Creys-Malville (voir dans le présent ouvrage ce sujet).
Sans doute, ce jour-là, le Conseil d’Etat a-t’il voulu frapper fort et montrer son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif sur des grands projets de dimension nationale.
C’est une interprétation possible mais le fait est que la démonstration technique qui était à la base des deux dossiers (car l’affaire de Creys-Malville a été emportée sur la démonstration du fait que la centrale ne pouvait plus fonctionner), montre à l’évidence l’importance de l’expertise soit économique, soit technique dans les contentieux de l’environnement.

Les enseignements de ces décisions

Dans tous les cas de figure, devant le Juge, il faut faire une démonstration et cette démonstration en matière d’environnement est reliée en réalité, à des considérations techniques et économiques plus qu’à celles de nature strictement juridique. Il n’en reste pas moins que ces deux exemples, en particulier celui de la ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges , constituent malgré tout des exceptions.
On aurait pu s’attendre, avec la charte de l’environnement, à ce que la promotion du développement durable et la nécessaire conciliation prévue à l’article 6 de cette charte entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social aurait pu aujourd’hui inspirer le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel pour une prise en considération face à ces nouveaux défis que sont d’un certain côté la perte de biodiversité et le réchauffement ou ce que l’on préfère, le bouleversement climatique : il n’en est rien.
En fait, la lutte contre l’intensification de l’effet de serre et la prévention des risques liés au réchauffement climatique ont été reconnues à l’article L.229-1 du Code de l’Environnement comme priorités nationales.
Des requérants se sont fondés sur ce texte pour obtenir l’annulation d’une infrastructure routière et la juridiction administrative lui a répondu (CAA Nancy 21 Juin 2007, n° 06NC00102).
Il s’agissait dans cette phrase simplement d’un objectif et non d’un impératif.
Aujourd’hui, se pose la question d’introduire le climat et la biodiversité dans la Constitution.
Très bien sur le principe quoi qu’on puisse se demander si cela ne cède pas à une forme de mode et ne cache pas l’essentiel (voir en annexe notre tribune dans Environnement, Energie, Infrastructures reproduite ci-après d’Avril 2018).
Pour être concret, ne faudrait-il pas, plus simplement, changer la loi et trouver une formulation beaucoup plus efficiente au texte précité et rester dans le concret.

Annexes

Il est admis aujourd’hui sans difficulté que le réchauffement climatique menace la biodiversité d’une façon globale et impose, s’il l’on veut aboutir à en faire reculer les effets, compte tenu de ce que l’on appelle sa cause anthropique établie, à un vrai changement de nos modes de production et de consommation : modifier la Constitution est inutile (II) le droit positif actuel le permet (I).
I. Il se trouve, si l’on veut bien regarder le texte de notre Charte constitutionnelle de l’environnement, que cette perspective a déjà été prise en considération.
En effet, l’article 6 de la Charte définit une double direction à suivre : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».
Or l’article 2 avait déjà annoncé dans son premier considérant: « Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ; que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ».
Et si l’on n’avait pas compris les raisons d’être de cette situation, le même texte explique : « Que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ».
Et encore : « Que la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ».
Et en toute fin : « Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Que dire de tout cela si ce n’est que la charte intègre déjà tout ce qu’il y a dire sur la problématique du développement durable face au réchauffement climatique.
Alors pourquoi vouloir changer encore ?
A cet égard, il existe en effet actuellement trois types de projets, il faudrait modifier la charte elle-même et on peut se poser la question : en quoi ? Il faudrait ajouter le climat dans les préoccupations et les compétences du Parlement au titre de l’article 34 ou encore modifier les premiers articles de la Constitution en proclamant que « La République veille à la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité ».
Il est vrai que certains textes du Code de l’environnement sur le réchauffement climatique de nature législative, et en particulier l’article L229-1, doivent être révisés. Ce texte dispose en effet : « La lutte contre l’intensification de l’effet de serre et la prévention des risques liés au réchauffement climatique sont reconnues priorités nationales ».
Les juridictions administratives ne se sont pas trompées, elles considèrent à juste titre que cet article du code ne fixe que des objectifs et ne contient aucun impératif (Cour administrative d’appel de Nancy, 21 juin 2007, requête 0NC00102), on veut changer cette loi ? Il suffit de changer la loi par une autre loi, il n’est point besoin de remonter à la loi constitutionnelle.
Si on veut réellement protéger l’environnement et favoriser la lutte contre le réchauffement climatique en passant par le droit constitutionnel, il conviendrait alors d’adopter une perspective réaliste c’est-à-dire issue des données de l’examen du contentieux environnemental au niveau mondial : les travaux de Madame Christelle COURNIL qui doivent se concrétiser dans un ouvrage à paraître aux Editions PEDONE en octobre 2018 et notre ouvrage sur le Contentieux climatique, une révolution judiciaire mondiale qui doit paraître à la fin du mois de mars 2018 aux Editions BRUYLANT, montrent à l’évidence que dans le contentieux climatique qui se développe actuellement à une vitesse fulgurante dans le monde entier, l’on y applique le droit constitutionnel de l’environnement dans sa version la plus classique : tout simplement en tant que droit de la protection de la nature en tant que telle.
Si environ 145 Etats sur 195 ont aujourd’hui un droit constitutionnel à l’environnement, celui-ci entraine en principe son application directe on peut prendre ici l’exemple du contentieux du contrôle des autorisations administratives en vue de l’obligation d’intégrer dans l’étude d’impact écologique la dimension climatique, ou celui de la responsabilité des Etats dans leurs manquements à leurs devoirs de protéger l’environnement face au réchauffement climatique (obligation de due diligence).
II. Si l’on veut aller plus au fond des choses, on doit se rappeler que le droit de l’environnement classique contient toujours deux propositions conjointes essentielles à savoir simultanément à égalité, le droit des protections et le droit de la lutte contre les pollutions. Et ici si l’on veut mettre au rang de norme supérieure la lutte contre le réchauffement climatique il conviendrait d’y associer immédiatement la protection de la biodiversité et des équilibres écologiques. En effet, le droit constitutionnel de l’environnement comme le Code de l’environnement, marchent tout deux sur deux jambes et il proclame comme objectif constitutionnel seulement la lutte contre le réchauffement climatique c’est déséquilibrer tout l’édifice patiemment et progressivement construit. Il faut encore ajouter que le droit de l’environnement peut à la rigueur se retourner contre l’environnement. L’extension au monde entier de l’énergie nucléaire qu’économise du CO2 n’est pas très un danger à terme pour l’environnement.
S’engager véritablement pour le climat c’est de rendre le droit de l’environnement effectif sur tous les plans, non seulement sur le plan national mais surtout sur le plan international.
A cet égard on relèvera l’importante évolution qui vient se manifester à ce dernier niveau à travers la décision du 2 février 20118 de la Cour internationale de Justice dans l’affaire Costa Rica contre Nicaragua qui a reconnu le droit de réparation du dommage écologique dans des conditions précises.
La lutte contre le réchauffement climatique passe donc par la prise en considération de l’obligation de réparer le dommage écologique présent ou à venir, celle-ci est sans doute la partie négative mais indispensable du droit de l’environnement mais elle doit aussi s’accompagner de la partie positive liée au principe de prévention incarné dans le droit de la protection de la biodiversité. En tout dernier lieu on peut se demander si l’idée de modifier la Constitution n’invite pas à se poser la question de savoir si la jurisprudence du conseil constitutionnel en matière de l’environnement a vraiment progressé comme on aurait pu l’espérer. Les décisions rendues par la Haute juridiction sur l’accord de l’Union Européenne Canada à l’égard de la compatibilité avec la Constitution française n’a pas permis de constater une avancée importante. Il est vrai sans doute que cette affirmation doit être relativement nuancée puisque l’on peut noter deux décisions dignes d’intérêt : d’une part, la décision du 7 avril 2011 en ce qui concerne la proclamation du principe de vigilance, et d’autre part la validation du principe de non régression dans la décision du 4 aout 2016. Mais comme l’a relevé le professeur Stéphane MOUTON lors d’un récent colloque tenu à l’Assemblée nationale et organisé par l’Université de Paris XIII, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’a jusqu’à présent apporté aucune reconnaissance au droit subjectif à un environnement sain.
* Reste à prendre en considération une dernière évidence : toute modification de la Constitution d’un Etat ne touche que l’Etat dans lequel cette Constitution s’applique, elle n’a pas en soi d’effet à l’étranger. Sans doute l’idée d’établir un texte exemplaire n’est pas blâmable, mais encore faudrait-il que ce texte soit à la fois cohérent et pensé en termes d’efficacité c’est-à-dire qu’il soit être conçu pour être appliqué par un juge français qu’il soit constitutionnel ou non. Une simple proclamation ne saurait suffire sauf à privilégier la communication sur l’efficience comme on le voit trop souvent.
A cet égard et quoiqu’il advienne rappelons-nous toujours le principe proclamé par le professeur MOTULSKY selon lequel : « Le droit n’existe que s’il est effectif ». Ici pour qu’il soit effectif il faut qu’il soit adapté pour être appliqué par un juge mais par définition ayant réelle portée universelle car le sujet est mondial.
Dans tous les cas de figure, la modification de la Constitution française n’empêchera pas les îles du Pacifique de sombrer, ni la France de perdre cette année selon les experts du fait au recul du littoral environ 25km² sur sa côte atlantique.
Une réponse efficiente à une situation urgente viendra d’abord comme toujours et malheureusement du juge, et non pas du législateur fut-il constitutionnel : formons ici le vœu que le Conseil constitutionnel se saisisse le premier de cette préoccupation.
Ce sont les recommandations que l’on pourrait faire pour rester dans le concret et non pas nécessairement dans la communication qui est le défaut de notre époque.