Dysfonctionnement d’un incinérateur durant des années ; reconnaissance en première instance du délit de mise en danger délibérée d’autrui et d’infraction à la législation des installations classées

Dysfonctionnement d’un incinérateur durant des années ; reconnaissance en première instance du délit de mise en danger délibérée d’autrui et d’infraction à la législation des installations classées

Tribunal correctionnel de Paris 6 Mars 2018, Commune de Maincy contre CAMVS

L’incinérateur de Vaux-le-Pénil avait été construit dans les années 1960 afin de brûler les ordures ménagères d’une partie de la Seine-et-Marne. Il était autorisé en 1974 à étendre ses capacités. Ses dysfonctionnements étaient parfaitement connus dès le milieu des années 90, époque à laquelle la France aurait dû se mettre en conformité avec les normes communautaires concernant les incinérateurs.

En février 1997, le ministre de l’environnement de l’époque avait publié une circulaire pour imposer à tous les nouveaux incinérateurs le respect de la norme 1 nanogramme par mètre cube seconde.

Les préfets avaient été invités à adresser des mises en demeure aux vieux incinérateurs qui étaient les plus polluants. L’incinérateur de Vaux-le-Pénil en faisait partie, et, entre 1996 et 2002, une dizaine de rapports seront adressés au Préfet par l’inspection des installations classées constatant la non-conformité de l’installation. La DRIRE ira jusqu’à écrire en 1996 que cette installation fonctionne dans des « conditions épouvantables ».

De fait, la procédure permettra de constater que l’usine rejette jusqu’à 10 fois le nombre maximal de poussières totales, entre 5 et 10 fois le maximum d’émissions d’acide chlorhydrique, 6 fois le monoxyde de carbone et 2000 fois pour les dioxines Mais, l’exploitant parfaitement conscient de l’état de dégradation avancée de cette installation souhaitait la faire perdurer, le temps qu’une nouvelle installation soit réalisée.

Le cas

Sous l’impulsion de Madame Coffinet, une habitante de la commune voisine de Maincy qui se trouvait sous le panache de l’incinérateur, une association de défense des habitants se constituait en raison de la pollution et des risques sanitaires qu’il générait.
En 2001, Madame Coffinet devenait Maire de Maincy et faisait procéder à des analyses dans les végétaux, dans le sol et dans les œufs ainsi que dans le sang d’un certain nombre d’habitants de la commune dont elle-même. Les résultats étaient accablants et en particulier les œufs contenaient 40 picogrammes par gramme de matière sèche de dioxines la limite maximale étant de trois pour permettre une consommation des œufs.
Elle prenait donc un arrêté d’interdiction de consommation de ces œufs pendant que l’État non seulement ne prenait aucune mesure de protection des habitants mais encore osait en la personne du préfet convoquer Madame Coffinet et exiger le retrait de cet arrêté ce que bien entendu, elle refusait.
Finalement, après de longues tergiversations, le préfet prenait un premier arrêté de mise en demeure d’avoir à respecter les normes de l’arrêté d’autorisation dans un délai de trois mois, prorogé une nouvelle fois pour trois mois. Devant la carence complète de l’exploitant, le préfet décidait de la fermeture de l’incinérateur.
Une première action était lancée contre la réalisation du deuxième incinérateur, effectuée sans aucune étude d’impact préalable permettant de connaître l’importance de la pollution liée aux poussières et aux dioxines. La juridiction administrative ne voulait rien entendre.
C’est dans ces conditions qu’une plainte avec constitution de partie civile était déposée d’une part au nom de la commune de Maincy, d’autre part au nom d’une centaine d’habitants entre 2002 et 2004. Le pôle santé publique de Paris était saisi en juillet 2005 et une ordonnance de renvoi intervenait le 29 novembre 2011 des chefs de mise en danger délibérée d’autrui et d’exploitation d’une installation classée sans se conformer à l’arrêté d’autorisation. En revanche, la qualification de blessures et homicide involontaire n’était pas retenue.
Après un aller-retour jusqu’à la Cour de cassation, le dossier était finalement renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris qui par jugement en date du 6 Mars 2018, condamnait le CAVMS pour ces deux infractions.
Si l’infraction concernant la législation des installations classées ne posait aucun problème juridique, en revanche le délit de mise en danger délibérée d’autrui impliquait que le risque de mort ou de blessures graves du fait des pollutions dues à la dioxine soit retenu, ce qui a été le cas.
Le tribunal a évalué le préjudice des personnes physiques habitant dans une zone de 5 kilomètres autour de l’incinérateur à une somme de 500 € par mois d’infraction soit 21.000 € par personne et a fixé le préjudice de la commune du fait du non-respect de la législation des installations classées à 15.000 € pour le préjudice écologique.

Les enseignements

Tout d’abord, il convient de souligner qu’il ne s’agit que d’une décision de première instance qui est frappée d’appel. Cependant, cette décision, qui intervient au terme de 16 ans de procédure, est une décision extrêmement importante quel que soit son avenir en appel et sans doute en cassation.
En premier lieu, c’est la première fois qu’une décision pénale intervient de manière positive à la suite des dysfonctionnements d’un incinérateur. Le précédent de Gilly sur Isère, tout aussi inconvenant que celui de Vaux-le-Pénil, n’avait pas abouti grâce à un montage juridique permettant à l’exploitant d’échapper à toute sanction.
En deuxième lieu, c’est au terme d’un raisonnement extrêmement étayé que le tribunal après avoir pris connaissance de différentes études établissant une croissance du risque de cancer pour les personnes vivant sous le panache d’un incinérateur – la dioxine ayant été reconnue comme une substance cancérigène par le CIRC – a admis l’existence d’un risque de mort ou de blessures graves et a reconnu qu’il y avait une violation délibérée d’une obligation de sécurité fixée précisément dans les normes applicables aux incinérateurs même si il n’existait pas à l’époque une norme spécifique pour les dioxines.
En troisième lieu, c’est un jugement très important car les décisions de justice reconnaissant la mise en danger délibérée d’autrui sont finalement très rares dans le domaine de la santé environnementale. Il va de soi que si ce jugement était confirmé en appel, cela constituerait un précédent extrêmement utile dans tous les dossiers de pollution chimique. Et, même s’il n’en allait pas ainsi, ce jugement constituerait néanmoins un précédent important pour aller plus loin dans une autre affaire.
Enfin, la personne condamnée est une personne morale qui a succédé en ses droits et devoirs à la personne morale qui exploitait à l’époque l’incinérateur. Aucune personne physique n’a en définitive été poursuivie, alors même que ce sont bien des personnes physiques qui ont fait ces choix. Et, le préfet et les services de l’État sont restés à l’écart de toute mise en cause alors même que si la direction des installations classées avait tiré la sonnette d’alarme, la carence du préfet était grossière.