
L’épopée judiciaire de l’AMOCO CADIZ, un résultat à la fois inespéré et exemplaire
Le 16 mars 1978, vers 21 heures, le navire AMOCO CADIZ, pétrolier libérien de 220 000 tonnes s’échouait sur les côtes de la Bretagne Nord, à Port-sall ; il y perdait sa cargaison, du pétrole brut venant d’Arabie Saoudite et destinée à être déchargée au port de Rotterdam.
Les faits devaient démontrer que les causes du naufrage étaient dues à la fois à la mauvaise conception, surtout au mauvais entretien de l’appareil à gouverner. Le système hydraulique avait été obstrué par des chiffons ; dépourvu de l’usage du gouvernail, le navire n’avait pu être sauvé par le remorqueur allemand venu à son secours, son échouement était alors devenu inéluctable.
La marée qui en est issue a donc couvert pratiquement plus de 400 kilomètres de côtes, ce qui a nécessité des opérations de nettoyage gigantesques l’Administration faisant appel à la troupe et aux bénévoles. En juillet 1978, une bonne partie du pétrole brut avait été ramassée. Le dommage écologique avait été d’ores et déjà été consommé. En subissaient les conséquences, les communes touchées et leur population, les ostréiculteurs, les marins-pêcheurs ainsi que les associations de protection de la nature et de défense des oiseaux.
Pour apprécier l’importance qui s’attache à cette affaire, il faut rappeler que la Bretagne avait déjà subi l’affront d’une première marée noire importante en 1967 (affaire du Torrey-Canyon) à propos de laquelle les communes bretonnes s’étaient vu refuser toute indemnisation (voir l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 3 juillet 1969 – affaire Commune de la Baule). Cette marée noire avait été suivie de deux incidents plus petits mais significatifs : l’échouement de l’Olympic Bravery en février 1976 et le naufrage du Boehlen sur l’île de Sein en novembre de la même année.
Présentation de l'affaire par Christian Huglo
Interview de Corinne Lepage datée du 12 septembre 1979
“Les communes veulent obtenir réparation et faire jurisprudence aux Etats-Unis… Ce n’est pas parce qu’on a des difficultés à chiffrer des dommages qu’il ne faut pas les indemniser”
Journal télévisé du 17 mars 1978
Journal télévisé du 25 avril 1992
- 16 mars 1978 : l’Amoco Cadiz s’échoue au large des côtes bretonnes
- 17 Août 1984 : condamnation de la maison mère
- 20 janvier 1992 : la Cour Fédérale de Chicago statue définitivement
- D’abord une victoire symbolique très importante pour le droit de l’environnement parmi toutes les affaires de marées noires, ou de pollutions, qu’ont connu les Etats-Unis et qui ont été lancés à l’initiative de victimes étrangères (par exemple les victimes Indiennes dans l’affaire de BHOPAL) : toutes ont échouées aux Etats-Unis, la seule qui soit parvenue à terme est celle de l’AMOCO CADIZ.
- La responsabilité de la maison mère pour les filiales c’est la condamnation du système des pavillons de complaisance. La décision de la Cour fédérale de Chicago a créé un précédent qui a bénéficié à l’ensemble des Américains ; la France ou l’Europe n’en n’ont tenu que très peu compte sauf exception très particulière (notamment dans certaines circonstances dans le droit de la pollution des sols).
- Le troisième enseignement concerne l’étendue des dommages : d’abord celui concernant l’obligation de rembourser intégralement les services publics qui ont procédé au nettoyage, que ce soit ceux des collectivités locales ou ceux de l’Etat ; cette solution n’était pas évidente à l’époque et même aujourd’hui elle ne se retrouve pas intégralement dans la jurisprudence internationale (voir l’arrêt de la Cour internationale de justice rendue récemment qui ne prend considération ce type de dommage que si les services des services publics sont des services exceptionnels : CIJ, 2 février 2018, Costa Rica c. Nicaragua, Indemnisation due par la République du Nicaragua à la République du Costa Rica, rôle général n°150).
- Enfin, l’affaire de l’AMOCO CADIZ a eu une grande influence sur la réforme du Code Pénal de 1994 qui a institué la responsabilité de la personne morale à côté de la responsabilité personnelle des dirigeants sociaux poursuivis pour des infractions en matière d’environnement ; bien entendu, il ne s’agit pas de la responsabilité des maisons mères pour les filiales à proprement parler ; on retrouve cependant les leçons de l’affaire AMOCO CADIZ dans les lois récentes relatives au devoir de vigilance des maisons mères à l’égard de leurs filiales et leurs contractants.
Si finalement le dommage écologique n’a pas été consacré par le Tribunal de Chicago, c’est uniquement par manque de précèdent en France car il n’existait qu’une seule décision celle du Tribunal de première instance de Bastia ; mais dans l’affaire de l’ERIKA 20 ans plus tard grâce à l’expérience acquise par l’affaire de l’AMOCO CADIZ celui-ci à été reconnu finalement par la Cour d’appel de Paris puis par la Cour de cassation dans sa décision de septembre 2013. Aujourd’hui cette obligation de réparer le dommage écologique figure dans le code civil suite à la loi du 8 août 2016, dite Loi de Reconquête de la Biodiversité de la Nature et des Paysages.