Glyphosate : une étude majeure rétractée 25 ans après sa publication
- Huglo Lepage Avocats

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Corinne Lepage, Avocate associée
Le Rédacteur en Chef de la revue Regulatory Toxicology and Pharmacology qui dépend de l’immense éditeur Elsevier vient de publier un avis de rétractation concernant une étude de 2000 qui a servi de base à peu près à toutes les demandes d’autorisation de mise sur le marché de produits à base de glyphosate et en particulier du Roundup.
Cette étude intitulée « Évaluation de la sécurité des risques pour l’Homme de l’herbicide, Roundup et de son ingrédient actif le glyphosate » est retirée 25 ans plus tard en raison « de plusieurs problèmes critiques considérés comme portant atteinte à l’intégrité académique de cet article et de ses conclusions et en l’absence de réponse aux conclusions de l’enquête de la part du seul auteur encore en vie ».
Une telle rétractation est rarissime après un tel délai et encore plus s’agissant d'une étude majeure, dans une revue à comité de lecture, et qui a entraîné des répercussions gigantesques.
Ce document de rétractation mérite d’être lu attentivement, tant il met en lumière les critiques majeures qui sont formulées depuis des années non seulement contre le glyphosate et sa dangerosité, mais également contre le système d’évaluation réglementaire, fondé presque exclusivement sur les études des industriels et traitant avec le plus grand mépris les études académiques.
Sept points majeurs justifient cette décision rarissime de retrait de publication :
L’évaluation de la cancérogénicité et de la génotoxicité est non seulement basée sur les seules études non publiées de Monsanto, mais surtout ne prend pas en compte les autres études de toxicité chronique à long terme et de cancérogénicité, qui pourtant existaient déjà en 1999. Selon l'avis de rétractation « Les raisons de cette omission restent inconnues, mais remettent en question l’objectivité générale des conclusions présentées ». Il n’était donc pas possible de tirer une conclusion générale à partir de la seule étude de Monsanto.
Cette décision est également justifiée par le manque d’indépendance des auteurs. En réalité, cet article signé par trois auteurs aurait été rédigé largement par d’autres. « Les auteurs de l’article n’étaient pas les seuls responsables de la rédaction de son contenu, car il ressort de correspondances que les employés de Monsanto auraient contribué à la rédaction de l’article, sans être dûment reconnus comme coauteurs. Ce manque de transparence soulève de sérieuses questions éthiques concernant l’indépendance et la responsabilité des auteurs de cet article ainsi que l’intégrité scientifique des études de cancérogénicité, présentées ». C'est peu de le dire !
La déformation des contributions. Les participations des employés de Monsanto en tant que co-auteurs n’ont pas été mentionnées ce qui laisse suggérer « que les auteurs ont peut-être déformé leur rôle unique et la nature collaborative du travail présenté ».
Les auteurs auraient reçu une compensation financière de Monsanto pour leur travail sur cet article, ce qui n’a pas été divulgué et ce qui « remet en question l’objectivité académique, apparente des auteurs dans cette publication ».
L’ambiguïté des résultats de recherche. « Cet article est largement considéré comme un document de référence dans le débat sur la cancérogénicité du glyphosate et du Roundup. Le manque de clarté quant aux parties de l’article qui ont été rédigées par les employés de Monsanto jette un doute sur l’intégrité des conclusions tirées. Plus précisément l’article affirme l’absence de cancérogénicité associée au glyphosate… on ne sait pas dans quelle mesure les conclusions des auteurs ont été influencées par les contributions externes de Monsanto, sans que celles-ci aient été dûment reconnues ».
L’approche fondée sur la prépondérance des preuves. « Bien que cette méthodologie soit valable en principe, les biais potentiels introduits par les contributions non divulguées des employés de Monsanto et l’excusions d’autres études existantes ont pu fausser l’interprétation des données ».
Contexte historique et influence. « Cet article a eu une influence considérable sur les décisions réglementaires concernant le glyphosate et le Roundup pendant des décennies. Étant donné son statut de référence dans l’évaluation de la sécurité du glyphosate, il est impératif que l’intégrité de cet article de synthèse et de ses conclusions ne soit pas compromise. Les préoccupations exprimées ici nécessitent ce retrait, afin de préserver l’intégrité scientifique de la revue ».
Autrement dit, l’article qui sert de référence et qui a servi de référence pendant des décennies à la délivrance d’autorisations de mise sur le marché de Roundup a été écrit avec a minima la collaboration des salariés de Monsanto, contre espèces sonnantes et trébuchantes et en excluant les autres études qui existaient déjà à l’époque.
C’est pour sauver l’intégrité de la revue effectivement mise à mal que cette rétractation a lieu. Certes ! mais quid des conséquences, d'une part sur les méthodes d'évaluation comme sur les autorisations déjà délivrées ou en voie de l'être quant à leur impact sanitaire.
Sur le premier, il faut se référer à la décision rendue récemment par la cour administrative d’appel de Paris, à propos des méthodes d’évaluation des pesticides par l’Anses, donnant un délai pour réévaluer toute une série d'autorisations en raison des faiblesses réglementaires d'évaluation qui avaient été observées. (CAA de Paris, 3e ch., n° 23PA03881, n° 23PA03883 n° 23PA03895, 3 septembre 2025)
Logiquement, et à l'échelle de la planète, toutes les autorisations qui reposent sur cette étude comme élément de base fourni par l’industriel devraient être suspendues pour être réévaluées et bien entendu toute demande concernant la prolongation ou de nouvelles autorisations à base de glyphosate devraient donner lieu à une nouvelle procédure d’évaluation excluant cette étude. Cette étude semble frauduleuse et la fraude corrompt tout, permettant le retrait sans délai.
En second lieu, la Cour de justice de l’Union européenne a depuis longtemps, rappelé aux autorités compétentes, que d’une part les études sur lesquelles elles se fondaient devaient être publiées mais surtout, d’autre part, que les études des industriels ne devaient en aucun cas être les seuls éléments ou les éléments majeurs pris en considération. Or, tel n’est évidemment pas le cas. Ainsi, dans la dernière réévaluation du glyphosate en 2024, moins de 1 % des études autres que celles des industriels ont été prises en considération !
Or, ce qui est mis en lumière par cette étude phare de 2000 est bien entendu reproductible sur d’autres études des industriels. Et cela interpelle également sur le sérieux des revues à comité de lecture. On peut se réjouir de ce que Elsevier ait fait le choix de la rétractation pour cette étude mais il s'interroge sur les décisions qui ont été prises pour revoir des études publiées dans la revue et qui ne reposeraient que sur des études industrielles non publiées.
On peut également s'interroger sur les responsabilités des uns et des autres, de Monsanto bien sûr, mais également de l'éditeur, dans les conséquences délétères de telles publications.
En bref, à l'heure du backlash et de la remise en cause de l'impératif de protection sanitaire au bénéfice des industriels de la chimie, ce retrait a le mérite d'appeler un chat un chat et d’envoyer un signal fort à tous nos concitoyens pour qu'ils comprennent dans quelles conditions des décisions qui impactent considérablement leur santé celle de leurs enfants et leur avenir sont prises."
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