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Energies fossiles : La CEDH reconnait l’obligation d’évaluer les émissions scope 3 dans les projets d’exploration pétrolière

  • Photo du rédacteur: Huglo Lepage Avocats
    Huglo Lepage Avocats
  • il y a 2 jours
  • 3 min de lecture

Lise-Hélène Gras, Juriste documentaliste


Le 28 octobre 2025, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu une décision très attendue dans l’affaire « Greenpeace Nordic and Nature & Youth v. Energy Ministry », consacrant de nouvelles obligations procédurales pour les États en matière de projets fossiles. Si la Cour ne constate aucune violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme, elle clarifie le périmètre des obligations environnementales découlant de ses articles 2 et 8, notamment en matière d’évaluation des émissions indirectes, c’est à dire de scope 3.


Le gouvernement Norvégien avait décidé d’octroyer en 2020 dix licences d’exploration pétrolière en mer de Barents. Plusieurs ONG et particuliers avaient contesté ces autorisations, estimant qu’elles compromettaient la réalisation des objectifs climatiques de l’Accord de Paris et violaient leurs droits fondamentaux issus de la Convention EDH. Après le rejet de leurs recours par la Cour suprême de Norvège, les requérants avaient saisi la CEDH, invoquant une violation des articles 2, 8, 13 et 14, respectivement relatifs au droit à la vie, au droit au respect de la vie privée et familiale, au droit à un recours effectif et à l’interdiction de la discrimination. Ils soutenaient que l’octroi des licences favorisait un réchauffement climatique dangereux, engageant la responsabilité de l’État.


La Cour réaffirme tout d’abord la possibilité pour des ONG de contester des décisions nationales en matière climatique, dans la continuité de l’arrêt « KlimaSeniorinnen c. Suisse » de la CEDH du 9 avril 2024. Elle reconnaît l’intérêt à agir des deux associations requérantes, au regard de leur objet statutaire et de leur implication dans le débat public environnemental mais refuse d’accorder la qualité de victime aux particuliers, estimant qu’ils ne démontrent pas une exposition directe, concrète et spécifique aux effets des décisions contestées.


Contrairement à l’affaire « KlimaSeniorinnen », la CEDH ne se prononce pas sur les obligations substantielles d’atténuation des émissions mais sur les obligations procédurales de prévention et d’évaluation des risques environnementaux. Elle rappelle l’existence d’une obligation positive pour les États de protéger la vie, la santé et le bien-être des populations contre les effets graves du changement climatique, une obligation qui suppose la mise en balance rigoureuse des intérêts économiques et environnementaux lors de l’autorisation de projets énergétiques. La Cour souligne à cet égard que les États disposent d’une marge d’appréciation, mais celle-ci doit être exercée dans le respect du principe de diligence environnementale. L’étude d’impact environnemental (EIE) constitue ici un instrument central : elle doit être complète, fondée sur les meilleures données scientifiques disponibles et réalisée de bonne foi.


La principale avancée de l’arrêt réside dans l’interprétation de la Cour concernant les émissions scope 3 : pour la première fois, la CEDH affirme que les émissions résultant de la combustion des hydrocarbures produits doivent être intégrées dans les études d’impact des projets pétroliers. 


Elle justifie cette obligation en établissant un lien de causalité entre exploration, production et combustion de pétrole : l’exploration constitue une condition préalable tant juridique que pratique à l’extraction et le fait que d’autres autorisations soient nécessaires avant l’extraction ne rompt pas cette chaîne de causalité. Ainsi, même si l’exploration ne conduit pas nécessairement à l’exploitation, elle participe structurellement à un processus conduisant à des émissions de gaz à effet de serre. Cette interprétation rejoint l’analyse de plusieurs décisions antérieures notamment l’avis consultatif du Tribunal international du droit de la mer du 21 mai 2024, l’avis de la Cour AELE du 21 mai 2025 et l’arrêt Finch de la Cour suprême du Royaume-Uni du 20 juin 2024. La Cour cite également l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 23 juillet 2025, selon lequel l’octroi de permis d’exploration d’hydrocarbures peut constituer un fait international illicite.


Malgré ces avancées, la Cour conclut à l’absence de violation de l’article 8. Elle estime que, dans le cadre procédural norvégien, l’évaluation des émissions scope 3 n’est pas requise au stade de l’exploration, mais sera exigée ultérieurement lors de la phase de développement et d’exploitation. Le cadre national est donc jugé conforme aux exigences de la Convention, pour autant qu’il permette une évaluation environnementale progressive et proportionnée.


L’arrêt marque une étape importante : en imposant la prise en compte des émissions scope 3, la CEDH renforce les obligations procédurales des États, sans pour autant restreindre directement leur liberté de définir leur politique énergétique. Cette affaire ouvre la voie à de futur contentieux visant des majors pétroliers et gaziers. 


Pour lire l’arrêt, cliquez ICI

 
 
 

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