Une révolution judiciaire en droit international public
Par arrêt du 2 février 2018 (2018/8) la Cour Internationale de Justice de La Haye a reconnu et institué le droit à réparation du dommage écologique dans un litige qui oppose le Costa Rica au Nicaragua. De plus l’arrêt statue sur l’application de la théorie de gratuité du service public, théorie qui ferait obstacle à la réparation du dommage causé à une entité publique par une autre entité, dès lors que l’entité publique a utilisé son personnel administratif pour constater et/ou limiter le dommage.
L’arrêt rendu fait suite à un précédent arrêt de la Cour du 16 décembre 2015 par lequel celle-ci avait statué sur la responsabilité et le caractère illicite des activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière du Costa Rica où il avait développé des aménagements surtout détruits à une zone humide sous protection internationale au titre de la convention de Ramsar. A cette fin le Nicaragua avait abattu près de 300 arbres et rasé un peu plus de 6 hectares de végétation.
Comme on pourra le constater à la lecture de l’arrêt, les sommes en jeu n’étaient pas considérables puisque la totalité des dommages et intérêts accordés au Costa Rica ne dépassent pas 400 000 dollars avec les intérêts. Ils comprennent à la fois l’indemnisation de l’étendue des dommages causés à l’environnement et l’indemnisation des frais et dépenses exposés par la victime ; en l’espèce l’occupation et l’activité illicite ne semblent pas avoir eu une très longue durée, selon les dispositions de l’arrêt.
L’intérêt principal de la décision est l’affirmation de cette idée que la réparation du dommage environnement s’inscrit dans l’obligation de réparation intégrale au dommage.
Elle se divise selon la Cour en deux sous-parties, la première est relative à la dégradation à la perte des biens et services et la seconde est relative à la restauration du milieu si la régénération ne suffit pas. L’idéal étant de pouvoir revenir à la situation d’origine. On notera sans doute qu’il n’y a rien de très original à cette théorie qui fait application déjà à des principes retenus il y a fort longtemps par le Conseil d’Etat, ou le Juge judiciaire, en cas d’atteinte à un bien forestier ou à un bien agricole. Le Juge couvre généralement la perte enregistrée et le gain manqué qui peut se traduire par exemple sur la perte effective d’une récolte et surtout l’indemnisation liée à la durée du cycle de repeuplement végétal ou biologique correspondant à la capacité de production du milieu (voir par exemple Conseil d’Etat Commune de Barjols/Correnx – 1979). Naturellement la solution adoptée par la Cour ne peut être qu’approuvée, on peut dire et écrire aujourd’hui que le dommage écologique à fait son entrée dans le droit international ce qui selon nous devrait nous conduire à réfléchir par exemple à la nécessaire mise en harmonie de toutes les conventions relatives à la pollution des mers et notamment celles visant les hydrocarbures (en l’espèce les conventions de Bruxelles) qui ne reconnaissent pas le dommage écologique.
La conception de la Cour en ce qui concerne la théorie dite de la gratuité du service public ne manque pas non plus d’intérêt ; elle présente beaucoup d’intérêt pour les juristes et ceux qui ont suivi de près le procès Amoco Cadiz aux Etats-Unis. L’essentiel des demandes de dommages et intérêts de l’Etat comme des collectivités publiques était constitué par les dépenses engagées et le coûts liés à la mise à disposition des agents publics, des fonctionnaires et militaires pour endiguer les effets de cette marée noire du 16 mars 1978 survenue il y a près de 40 ans (220 000 tonnes de pétrole brut échappées du navire Amoco Cadiz avaient pollué 400 kilomètres de côte du nord de la Bretagne, la pollution s’étendant du Finistère vers les Côtes du Nord (selon la dénomination de l’époque).
La question concernant cette demande avait fait l’aspect de débats intenses devant le Tribunal Fédéral de Chicago : la partie adverse s’appuyait sur une jurisprudence existante aux Etats-Unis visant les suites d’un accident survenu sur l’aéroport de Washington. Il avait été jugé que les services d’incendie et de secours qui étaient payés par les taxes ne pouvaient pas réclamer des dommages et intérêts pour les dépenses exposées dans le cadre de cet accident. Le Juge puis la Cour n’ont pas suivi cette théorie mais avaient adopté la démonstration du Doyen Vedel selon laquelle la théorie de gratuité des services publics ne peut jouer que pour ceux qui payent des impôts et ne peut surtout pas jouer lorsqu’il y a usage anormal du domaine public : un célèbre arrêt du Conseil d’Etat de 1954 Ville de Besançon avait été invoqué. Il s’agissait en l’espèce de la dégradation des voies publiques de la ville de Besançon par le passage des chenilles des chars venus défiler le 14 juillet précédent et qui avait condamné l’Etat à réparer ce dommage.
La Cour de Justice de la Haye prend position sur ce chef de dépense, elle estime que la rémunération des agents publics affectés à une situation résultant d’un fait internationalement illicite « ne peut ouvrir droit à indemnisation que si elle présente un caractère temporaire et extraordinaire ». C’est bien là l’application de la règle de l’usage anormal et du caractère extraordinaire de la situation créée par la pollution. Cela n’a pas empêché en l’espèce la Cour de faire le partage entre l’extraordinaire et l’ordinaire en considérant en particulier à propos des agents qui étaient affectés à une tâche normale de police et de surveillance que le coût engendré par ce type de dépense ne devait pas être réparé par l’auteur du dommage. La Cour considère enfin, d’ailleurs, et ceci n’est pas sans intérêt et se rapproche effectivement avec le devoir et de la règle de la réparation intégrale, et prend en ce sens en considération les dépenses effectuées par la victime pour éviter que le dommage se reproduise en l’occurrence la réalisation d’une digue destinée à barrer l’effet d’un ouvrage en l’espèce les tuyaux (« caños »).
Cet arrêt fera courir beaucoup d’encre, il est plus qu’intéressant et important sous de nombreux aspects et c’est pourquoi nous annexons à la présente le résumé et le communiqué de ladite décision qui, au sens propre du terme, est assez révolutionnaire et s’inscrit bien dans la perspective de protection du futur.
Christian HUGLO
Avocat à la Cour
SAS HUGLO LEPAGE AVOCATS