L’affaire du TGV Nord et la Ville d’Amiens

L’affaire du TGV Nord et la Ville d’Amiens

Nous avons été l’Avocat de la Ville d’Amiens, de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Amiens et de nombreux requérants individuels qui tenaient à ce que le tracé du TGV Nord passe par la Ville d’Amiens.

Comme on va pouvoir le constater, le TGV Nord n’est jamais passé par Amiens, il s’est arrêté dans la gare dites des betteraves à proximité de Roye et Amiens est desservie par l’autoroute A16 Boulogne-Amiens-Beauvais-Paris.

Comment tout cela a pu s’accomplir et quelle était la part du droit et le politique dans ce sujet, c’est effectivement la passionnante affaire Ville d’Amiens contre Etat français.

Il était logique que le TGV passe par Amiens pour des raisons d’aménagement du territoire, Amiens n’a pas l’autoroute, Amiens est loin de côte et normalement et en toute logique, le TGV qui devait à la fois desservir le Nord de la France et la Ville de Lille et en même temps aboutir au tunnel sous la Manche devait se séparer à peu près à la hauteur de Roye pour qu’une branche sous forme de Y, pour que la branche gauche aille vers Amiens et la branche droite vers Lille.

Non, aujourd’hui, le TGV passe à 30 kilomètres d’Amiens, s’arrête à Lille et poursuit à hauteur de Lille jusqu’à l’entrée du tunnel sous la Manche en passant par la banlieue de Lille, ce qui n’est pas sans inconvénient important pour les habitants.

Qui en a décidé ainsi ? Et bien c’est la politique.

Le cas

Les calculs, la rationalité et les paramètres économiques validaient sans aucun doute la forme du TGV en Y et non pas en barre de T et plus exactement forme de lettre gamma.
C’est le Maire de Lille qui est intervenu directement auprès du Président et a voulu que le TGV soit seulement tout bénéfice pour Lille en vertu de l’adage : « le bonheur c’est que les autres n’en ait pas ».
En 1986, l’affaire n’était pas réglée et la délégation de la Ville d’Amiens, la Chambre de Commerce et d’Industrie avec mon assistance ont pu intervenir auprès du Ministre des Transports, Monsieur MERMET dans les premiers mois du Gouvernement ROCARD, c’est-à-dire entre la période comprise entre les élections présidentielles et les élections législatives ; même si l’enquête publique était encore, il était possible de renverser la situation.
Après les élections législatives, le Ministre des Transports fut Monsieur DELEBARRE et les dossiers de la Ville d’Amiens se sont retrouvés dans les couloirs.
Que faire dans ces conditions ?
Inventer, inventer.
Inventer sans doute mais en tout cas, utiliser les classiques c’est à-dire le recours contre la déclaration d’utilité publique.
Pour faire pencher les Commissaires enquêteurs dans le bon sens, des précautions ont été prises pour casser l’enquête publique.
La première a été un envoi massif de lettres recommandées ; il y en a eu pas moins de 100.000.
Je les ai annexées au dossier qui fut diffusé et les pièces furent rassemblées à partir d’un constat d’Huissier et transmises à la Commission d’enquête qui refusa de se déplacer pour compter les dossiers dans les armoires de la Chambre de Commerce.
Une autre initiative fut prise qui consista à acquérir par la Ville d’Amiens ou la Chambre de Commerce un certain nombre d’hectares sur le tracé et de les diviser en 1.000 parcelles vendues par un Notaire itinérant dans toute la Somme.
La dernière précaution qui fut prise fut de vérifier l’indépendance du Commissaire enquêteur ; une lettre recommandée fut envoyée en ses bureaux qui étaient installés dans les bureaux d’Eurotunnel.
La lettre recommandée ainsi libellée : « Monsieur le Président de la Commission d’enquête aux bons soins d’Eurotunnel », fut envoyée et conservée précieusement.
Tout cela n’apparaît que des détails mais on verra l’utilisation qui a pu en être faite.
Tout d’abord, le Conseil d’Etat, très embarrassé par la question de la non prise en considération par la Commission d’enquête des 100.000 lettres recommandées avec accusé de réception, eut recours à un subterfuge pour refuser l’annulation ; il existait en effet une jurisprudence du Conseil d’Etat, un arrêt « Sieur Collombon » que j’avais obtenu en son temps pour faire annuler la création d’un aéroport totalement inutile, l’aéroport de Sisteron Thèze Vaumeilh.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat avait annulé la déclaration d’utilité publique parce que les Commissaires enquêteurs avaient refusé de prendre en considération des pétitions qui n’émanaient pas du Département ou tout au moins de les comptabiliser ; le Conseil d’Etat considéra dans l’affaire en question que tout simplement ces pièces n’avaient pas été mises entre les mains du Commissaire enquêteur alors que c’est eux-mêmes qui avaient refusé de les consulter.
Bref, il y eut un long délibéré au Conseil d’Etat, le Maire de Ville d’Amiens se déplaça à l’audience, rien n’y fit.
C’est alors que furent enclenchées deux procédures, l’une de division des parcelles dont on a fait état mais le Gouvernement vota une loi pour indiquer que lors de la division d’une propriété artificielle, le Juge de l’Expropriation pouvait quand même statuer suivant la procédure d’urgence, ce qui fut fait.
La dernière précaution prise vis-à-vis de l’attachement du Commissaire enquêteur permit d’obtenir du Président du Tribunal de Nanterre une ordonnance de compulsoire pour vérifier les conditions dans lesquelles fonctionnait le Commissaire enquêteur.
Il est évident qu’Eurotunnel était une des parties intéressées et que l’on pouvait effectivement contester la déclaration d’utilité publique également sur ce point comme en tirer toutes les conséquences pénales possibles sur le plan de ce que l’on appelle la prise illégale d’intérêt.
Une information pénale fut ouverte et les inculpations allaient tomber lorsque le Maire d’Amiens fut convoqué à Matignon et qu’il y a eu, en ma présence, un accord pour l’accélération de la construction de l’autoroute A16.

Les enseignements

D’un certain côté, cette affaire est tout à fait rocambolesque mais montre comment il faut savoir imaginer des procédures ou des incidents de procédure pour parvenir à un résultat.
Comme on dit : « Quand on n’a pas tout essayé ou n’a rien fait et si on ne fait pas plus que ce que l’on doit faire, on ne fait pas son métier ».
La deuxième leçon que l’on peut en tirer et le fait que lorsqu’une collectivité publique est vraiment décidé à poursuivre une procédure, elle peut y parvenir parce qu’elle en a les moyens et une certaine force politique ; en l’espèce, il est vrai que la Ville d’Amiens n’est pas parvenue au résultat souhaité, c’est-à-dire le passage direct du TGV par Amiens, mais néanmoins la compensation n’a pas été négligeable même si cette autoroute n’est pas très fortement empruntée à la différence de l’autoroute A1 mais elle ne conduit pas au même endroit.