L’affaire des OGM

L'affaire des OGM

Autorisation de mise en culture de l’OGM Novartis – Application du principe de précaution – Compétence liée des États membres pour autoriser la mise sur le marché d’un OGM validée par la Commission.

Présentation de l'affaire par Corinne Lepage

Dates clés

Conseil d’État, sect., 25 septembre 1998, Association Greenpeace France, req. no 194-348
CJCE, 21 mars 2000, Association Greenpeace France et autres c/ Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, aff. C-6/99
Conseil d’État, 22 novembre 2000, Association Greenpeace France et autres, req. n° 193-348 et autres

Le cas

En novembre 1994, le ministre de l’environnement de l’époque avait déposé sur le bureau de la Commission une demande de commercialisation et de mise en culture d’un maïs OGM Novartis, résistant à la pyrale. La quasi-totalité des organismes de sécurité sanitaire européenne, à l’exclusion bien évidemment de la France, avait marqué leur opposition à cette autorisation. Le Conseil des ministres n’ayant pas donné son accord sans pour autant exprimer un avis à l’unanimité, la décision était revenu à la Commission en application de la directive du 23 avril 1990 en vigueur à l’époque. La Commission, après consultation des comités scientifiques et sous pression des agro-semenciers avait le 23 janvier 1997 avait pris une décision d’autorisation. Le gouvernement français, à la demande du ministre de l’environnement de l’époque, avait décidé d’un moratoire. Le gouvernement de Lionel Jospin avait, le 5 février 1998, pris la décision contraire par un arrêté inscrivant trois variétés au catalogue officiel des espèces et variétés des plantes cultivées en France, et avait autorisé leur mise en culture. Par une première décision en date du 25 septembre 1988, le Conseil d’État, faisant pour la première fois application au domaine de la santé environnementale du principe de précaution, ordonnait le sursis à exécution de cette décision, puis, par un deuxième arrêt en date du 11 décembre 1988, saisissait la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur le point de savoir si lorsque la Commission avait délivré un avis favorable, l’autorité compétente de l’État membre était obligée de délivrer le consentement écrit permettant la mise sur le marché du produit. Par arrêt en date du 21 mars 2000, la Cour de justice avait interprété la directive 90/220, en ce sens que, si la Commission avait pris une décision favorable l’autorité compétente était tenue de délivrer le consentement écrit permettant la mise sur le marché du produit. En revanche, si entre-temps l’État membre avait disposé de nouveaux éléments d’information qui lui permettaient de considérer que le produit pouvait présenter un danger pour la santé humaine et l’environnement il pouvait ne pas donner son consentement à condition d’en informer la Commission. De plus, si la juridiction nationale considère que des irrégularités ont été commises dans l’examen de la notification par l’autorité nationale compétente, il doit saisir la Cour à titre préjudiciel, s’il estime que ces irrégularités sont de nature à affecter la validité de la décision favorable de la Commission.
En appliquant cet arrêt qui créé donc une compétence liée au détriment des États membres, le Conseil d’État par arrêt en date du 22 novembre 2000 a jugé que le gouvernement français est obligé en l’absence d’éléments nouveaux de délivrer son consentement écrit. Les critiques adressées par les requérants à la régularité de la procédure ayant précédé la transmission du dossier à la commission des communautés européennes ne pouvaient avoir affecté la légalité de la décision.

La portée de ces décisions

Bien que les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État aient été en définitif favorables à Novartis, ce contentieux a constitué un véritable coup d’arrêt à la diffusion des OGM en Europe. En effet, il a donné naissance à une nouvelle directive beaucoup plus rigoureuse même si elle n’a été que très partiellement appliquée en ce qui concerne les exigences sur les études à long terme et la recherche des effets directs et indirects des OGM sur l’environnement et la santé humaine. Déjà, la décision de moratoire prise par le gouvernement français en 1997 avait été un coup de tonnerre pour l’industrie agro-semencière qui voyait les OGM occuper 50 % de l’agriculture européenne en 2000. La décision du Conseil d’État et les très fortes réactions de l’opinion publique ont achevé de jeter le discrédit sur des OGM qui étaient de véritables pompes à pesticides. La Commission européenne rencontrera les plus grandes difficultés au cours des années 2000 à délivrer des autorisations. De très nombreux contentieux se dérouleront du reste en France. Des maires, dont celui dans le département du Gers, s’opposeront par des arrêtés à la mise en culture d’OGM sur leur territoire. En définitive, un certain nombre de pays, dont la France et l’Autriche, refuseront que les OGM soient cultivés sur leur territoire.

L’intérêt aujourd’hui

Le débat qui a été ouvert à l’occasion de l’affaire du maïs Novartis est toujours d’actualité. Il pose d’abord la question des conditions de travail de l’Agence européenne de sécurité sanitaire et alimentaire (EFSA), de son impartialité, ainsi que de la multiplication des conflits d’intérêts qui étaient et sont toujours particulièrement patents dans le panel OGM. La mise en cause très grave de l’EFSA à propos de l’affaire du glyphosate, qui est liée aux OGM puisque la grande majorité d’entre eux sont tolérants aux herbicides en particulier Roundup dont un des principes actifs est précisément le glyphosate, est déjà en germe dans les débats qui ont agité la Cour de justice et le Conseil d’État à propos de ce premier dossier.
Mais le débat est également d’ordre démocratique, et ce, à double titre. D’une part, la volonté de la Commission d’imposer aux États membres la commercialisation et plus encore la mise en culture de produits très controversés est éminemment discutable. Cette situation a conduit la deuxième commission Barroso a modifié la directive 2001/18/CE pour permettre aux États membres de refuser expressément la mise en culture d’OGM pourtant autorisée par la Commission. Autrement dit, la loi est revenue sur ce que la jurisprudence avait décidé. D’autre part, la question des OGM a mobilisé une grande partie de la population européenne qui n’en voulait pas et ne comprenait pas que cette mise en culture considérée comme parfaitement inutile et potentiellement dangereuse puisse lui être imposée. Rappelons que l’immense majorité de la population européenne refuse les OGM.
Aujourd’hui, l’idée de développer les OGM en Europe est abandonnée. Mais, l’agro-industrie des semences a repris le sujet sous une autre forme, celle dite des nouveaux OGM, dont elle a obtenu jusqu’à présent qu’ils ne soient pas soumis à la directive 2001/18/CE. Bis repetita. Le Conseil d’État a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle à ce sujet…