L’économiste Nicolas Bouzou estime que « la crise de santé publique que nous vivons, évoque la tempête financière de 2008 par le risque de récession qu’elle fait peser ».
Une réalité économique qui ne doit pas être négligée et qui force à s’adapter, notamment en matière de commande publique, levier économique primordial en France.
En effet, le coronavirus et la crise sanitaire qui l’accompagne, ont bien évidemment des conséquences sur la commande publique, que ce soit pour les marchés publics en cours d’exécution (I) ou pour les marchés à venir (II).
Les acheteurs et les entreprises titulaires de marchés publics doivent s’adapter.
I. Coronavirus et marchés publics en cours d’exécution
Le décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 empêche certaines entreprises de poursuivre leur activité et d’honorer leurs engagements contractuels.
Grand nombre de pouvoirs adjudicateurs y sera nécessairement confronté.
Mais alors, s’agit-il d’une faute ?
Il est bien évident que non, à condition que l’empêchement du titulaire du marché relève réellement du caractère exceptionnel de la situation et s’apparente alors à une situation de force majeure, remplissant ainsi 3 conditions cumulatives :
- Un événement imprévisible ;
- Un événement extérieur ;
- Une impossibilité absolue de poursuivre l’exécution de tout ou partie du marché.
En ce moment, nul doute que les deux premières conditions sont remplies.
Mais la dernière condition devra, quant à elle, être appréciée au cas par cas.
Il ne peut alors qu’être conseillé aux entreprises de prouver leur impossibilité à exécuter le contrat par tout moyen, afin d’éviter tout litige ou la mise en œuvre de pénalités, et de prendre au plus vite l’attache de leur cocontractant afin d’en conférer de manière transparente et constructive.
En cette période, le dialogue sera à privilégier en vue de trouver des solutions et d’avancer. La mise en œuvre de pénalités devra être utilisée avec parcimonie par les acheteurs publics ; en effet, les pénalités pourraient bien venir rendre encore plus précaire la situation financière des entreprises, largement impactées par la crise sanitaire sans précédent que traverse le monde et particulièrement la France.
A cet effet, la Direction des Affaires Juridiques de Bercy rappelle, dans une fiche qu’elle vient de publier, que le Gouvernement recommande aux acheteurs publics, eu égard au caractère exceptionnel de la crise, de ne pas hésiter à reconnaître que les difficultés rencontrées par leurs co-contractants sont imputables à un cas de force majeure.
Malgré tout, le pouvoir adjudicateur dispose de deux possibilités :
- Reconnaître la force majeure et donc suspendre le contrat le temps que la situation de crise s’achève (et dans ce cas, aucune pénalité ne sera mise en œuvre) ;
- Résilier le marché pour cause de force majeure (solution à bien réfléchir tant elle pourrait être préjudiciable à l’entreprise titulaire du marché).
Des décisions vont devoir être prises dans les prochains jours par les pouvoirs adjudicateurs.
II. L’impact de la crise sanitaire sur les marchés à venir
La période d’épidémie et de crise sanitaire implique que pour les contrats à venir et pour tous types d’achats (au sens large), les modalités de publicité et de mise en concurrence peuvent (voire doivent) être adaptées.
Aux termes de l’article R.2122-1 du code de la commande publique, l’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence, lorsqu’une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures qu’il ne pouvait pas prévoir, ne permet pas de respecter les délais minimum exigés. Cette dérogation au principe de publicité et de mise en concurrence est notamment possible en cas de danger ponctuel imminent pour la santé publique, ce qui trouve tout son sens en cette période particulière de crise sanitaire.
Des dispositions dérogatoires essentielles, notamment pour les centres hospitaliers, qui souffrent cruellement d’un manque de matériel pour faire face à l’épidémie que nous connaissons et qui vont donc pouvoir passer des commandes en urgence avec les prestataires de leur choix.
Naturellement, la dérogation n’est pas sans garde-fou.
En cas de contentieux, l’acheteur devra être en mesure de prouver que l’achat effectué sans publicité ni mise en concurrence était urgent et impératif.
Il y a fort à parier que le contrôle juridictionnel sera réel sur ce point et que le juge administratif sera probablement confronté, dans les semaines à venir, à de nouveaux contentieux.
Pour lire la fiche technique : DAJ _ La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire
Madeleine BABES
Avocate à la cour
Huglo Lepage Avocats