La proposition d’inscrire la lutte contre le réchauffement climatique dans la Constitution relève-t-elle d’une incantation ou manifeste-t-elle une fantaisie du moment ?
Il est admis aujourd’hui sans difficulté que le réchauffement climatique menace la biodiversité d’une façon globale et impose, s’il l’on veut aboutir à en faire reculer les effets, compte tenu de ce que l’on appelle sa cause anthropique établie, à un vrai changement de nos modes de production et de consommation : modifier la Constitution est inutile voire contreproductif (II) car le droit positif actuel le permet (I).
I.
Il se trouve, si l’on veut bien regarder le texte de notre Charte constitutionnelle de l’environnement, que cette perspective a déjà été prise en considération.
En effet, l’article 6 de la Charte définit une double direction à suivre : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».
Or l’article 2 avait déjà annoncé dans son premier considérant : « Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ; que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ».
Et si l’on n’avait pas compris les raisons d’être de cette situation, le même texte explique : « Que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ». Et encore : « Que la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ».
Et en toute fin : « Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Que dire de tout cela si ce n’est que la charte intègre déjà tout ce qu’il y a dire sur la problématique du développement durable face au réchauffement climatique.
Alors pourquoi vouloir changer encore ?
A cet égard, il existe en effet actuellement trois types de projets, il faudrait modifier la charte elle-même et on peut se poser la question : en quoi ? Il faudrait ajouter le climat dans les préoccupations et les compétences du Parlement au titre de l’article 34 ou encore modifier les premiers articles de la Constitution en proclamant que « La République veille à la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité ».
Il est vrai que certains textes du Code de l’environnement sur le réchauffement climatique de nature législative, et en particulier l’article L229-1, doivent être révisés. Ce texte dispose en effet : « La lutte contre l’intensification de l’effet de serre et la prévention des risques liés au réchauffement climatique sont reconnues priorités nationales ».
Les juridictions administratives ne se sont pas trompées, elles considèrent à juste titre que cet article du code ne fixe que des objectifs et ne contient aucun impératif (Cour administrative d’appel de Nancy, 21 juin 2007, requête 0NC00102), on veut changer cette loi ? Il suffit de changer la loi par une autre loi, il n’est point besoin de remonter à la loi constitutionnelle.
Si on veut réellement protéger l’environnement et favoriser la lutte contre le réchauffement climatique en passant par le droit constitutionnel, il conviendrait alors d’adopter une perspective réaliste c’est-à-dire issue des données de l’examen du contentieux environnemental au niveau mondial : les travaux de Madame Christelle COURNIL qui doivent se concrétiser dans un ouvrage à paraître aux Editions PEDONE en octobre 2018 et notre ouvrage sur le Contentieux climatique, une révolution judiciaire mondiale qui doit paraître à la fin du mois de mars 2018 aux Editions BRUYLANT, montrent à l’évidence que dans le contentieux climatique qui se développe actuellement à une vitesse fulgurante dans le monde entier, l’on y applique le droit constitutionnel de l’environnement dans sa version la plus classique : tout simplement en tant que droit de la protection de la nature en tant que telle.
Si environ 145 Etats sur 195 ont aujourd’hui un droit constitutionnel à l’environnement, celui-ci entraine en principe son application directe on peut prendre ici l’exemple du contentieux du contrôle des autorisations administratives en vue de l’obligation d’intégrer dans l’étude d’impact écologique la dimension climatique, ou celui de la responsabilité des Etats dans leurs manquements à leurs devoirs de protéger l’environnement face au réchauffement climatique (obligation de due diligence).
II.
Si l’on veut aller plus au fond des choses, on doit se rappeler que le droit de l’environnement classique contient toujours deux propositions conjointes essentielles à savoir traiter simultanément et à égalité, le droit des protections et le droit de la lutte contre les pollutions. Et ici si l’on veut mettre au rang de norme supérieure la lutte contre le réchauffement climatique il conviendrait d’y associer immédiatement la protection de la biodiversité et des équilibres écologiques. En effet, le droit constitutionnel de l’environnement comme le Code de l’environnement, marchent tout deux sur deux jambes : ainsi proclamer seulement comme objectif constitutionnel la lutte contre le réchauffement climatique c’est déséquilibrer tout l’édifice patiemment et progressivement construit. Il faut encore ajouter que le droit climatique peut à la rigueur se retourner contre l’environnement. L’extension généralisée ou non au monde entier de l’énergie nucléaire certes économique en CO2 n’est pas sans danger pour l’environnement à court terme (explosions) ou à long terme (problématique de la conservation des déchets nucléaires).
S’engager véritablement pour le climat c’est de rendre le droit de l’environnement effectif sur tous les plans, non seulement sur le plan national mais surtout sur le plan international.
A cet égard on relèvera l’importante évolution qui vient se manifester à ce dernier niveau à travers la décision du 2 février 20118 de la Cour internationale de Justice dans l’affaire Costa Rica contre Nicaragua qui a reconnu le droit de réparation du dommage écologique dans des conditions précises.
La lutte contre le réchauffement climatique passe donc par la prise en considération de l’obligation de réparer le dommage écologique présent ou à venir, celle-ci est sans doute la partie négative mais indispensable du droit de l’environnement mais elle doit aussi s’accompagner de la partie positive liée au principe de prévention incarné dans le droit de la protection de la biodiversité.
En tout dernier lieu on peut se demander si l’idée de modifier la Constitution n’invite pas à se poser la question de savoir si la jurisprudence du conseil constitutionnel en matière de l’environnement a vraiment progressé comme on aurait pu l’espérer. Les décisions rendues par la Haute juridiction sur l’accord de l’Union Européenne-Canada à l’égard de la compatibilité avec la Constitution française n’a pas permis de constater une avancée importante. Il est vrai sans doute que cette affirmation doit être relativement nuancée puisque l’on peut noter deux décisions dignes d’intérêt : d’une part, la décision du 7 avril 2011 en ce qui concerne la proclamation du principe de vigilance, et d’autre part la validation du principe de non régression dans la décision du 4 août 2016. Mais comme l’a relevé le professeur Stéphane MOUTON lors d’un récent colloque tenu à l’Assemblée nationale et organisé par l’Université de Paris XIII, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’a jusqu’à présent apporté aucune reconnaissance explicite au droit subjectif à un environnement sain.
Reste à prendre en considération une dernière évidence : toute modification de la Constitution d’un Etat ne touche que l’Etat dans lequel cette Constitution s’applique, elle n’a pas en soi d’effet à l’étranger. Sans doute l’idée d’établir un texte exemplaire n’est pas blâmable, mais encore faudrait-il que ce texte soit à la fois cohérent et pensé en termes d’efficacité c’est-à-dire qu’il soit être conçu pour être appliqué par un juge français qu’il soit constitutionnel ou non. Une simple proclamation ne saurait suffire sauf à privilégier la communication sur l’efficience comme on le voit trop souvent.
A cet égard et quoiqu’il advienne rappelons-nous toujours le principe proclamé par le professeur MOTULSKY selon lequel : « Le droit n’existe que s’il est effectif ». Ici pour qu’il soit effectif il faut qu’il soit adapté pour être appliqué par un juge mais par définition ayant réelle portée universelle car le sujet est mondial.
Dans tous les cas de figure, la modification de la Constitution française n’empêchera pas les îles du Pacifique de sombrer, ni la France de perdre cette année selon ses experts du fait au recul du littoral environ 25km² sur sa côte atlantique.
Une réponse efficiente à une situation urgente viendra d’abord comme toujours et malheureusement du juge, et non pas du législateur fut-il constitutionnel : formons ici le vœu que le Conseil constitutionnel se saisisse sérieusement et le premier de cette préoccupation.
Annexe :
– Christian Huglo, « Une révolution judiciaire en droit international public », publié le 9 février 2018, en ligne sur le blog HLA.
Par Me Christian HUGLO
Avocat à la Cour,
Docteur en droit,
Co-directeur du Jurisclasseur Environnement