Le nouveau projet de loi concernant la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) a été présenté au Conseil des Ministres et a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État le 3 mai 2019. Cette loi est principalement rendue nécessaire par l’abandon de l’objectif du nouveau mix énergétique voté dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) ; mais, son intérêt tient également aux sujets qu’elle aborde… Et à ceux qu’elle oublie. À cet égard, l’avis du Conseil d’État est riche d’enseignements.
I. Le point central : l’abandon de la réduction de la part du nucléaire renvoyé à 2035 … ou aux calendes grecques
Par rapport au premier projet, certaines orientations parfaitement inacceptables ont été fort heureusement abandonnées. Ainsi, la seule neutralité carbone substituée à l’objectif de division par quatre des émissions de gaz à effet de serre est désormais accompagnée d’un objectif de division par six de ces mêmes émissions. Les souhaits de voir diminuer les objectifs de réduction de consommation énergétique ont disparu (ce qui ne signifie évidemment pas que le Gouvernement ne considère pas comme inatteignables ou secondaires ces objectifs) ; le projet augmente au contraire l’objectif de réduction en 2030 de la part des énergies fossiles (40% au lieu de 30 %). Ainsi, au moins sur le papier, les objectifs français coïncident avec les objectifs européens et avec les engagements pris dans le cadre de l’Accords de Paris même si, comme le reconnaît l’exposé des motifs du projet de loi, la France n’a pas respecté jusqu’à présent le budget carbone qu’elle s’était fixée.
Reste bien entendu le point central du projet de loi, le report à 2035 au lieu de 2025 de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique. Ce point est absolument central car il rend quasi impossible en réalité les objectifs d’efficacité énergétique comme d’énergies renouvelables, fait totalement abstraction de la sûreté nucléaire et du rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et installe la France dans une situation unique et opposée aux choix faits en Europe occidentale et même dans le monde. En effet, la PPE repose en réalité sur un objectif de croissance de la consommation électrique alors qu’un des objectifs majeurs de la politique européenne est celui de la réduction de la consommation énergétique. Mais, pour essayer d’appliquer le principe du « en même temps » à l’énergie, à savoir maintenir la quasi-totalité des centrales nucléaires en activité et augmenter les énergies renouvelables, une seule solution est possible augmenter la consommation. C’est une hérésie et de surcroît une utopie totale puisque la consommation française stagne ou baisse légèrement et les rêves d’exportation de l’énergie nucléaire se fracassent sur la croissance très rapide du renouvelable chez nos voisins et la volonté croissante des Européens de consommer une énergie verte.
En second lieu, ce choix qui consiste à ne fermer aucune centrale hormis Fessenheim durant le quinquennat, conduit à porter jusqu’à 50 ans la vie d’un certain nombre de nos réacteurs, exposant ainsi nos concitoyens à un risque d’accident nucléaire croissant. Cette manière de faire semble passer par pertes et profits, le rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire, comme si celle-ci de facto ne pourrait jamais être conduite à ordonner la fermeture pour raisons de sûreté d’une centrale. C’est est une aberration qui met de surcroît l’Autorité de Sûreté Nucléaire dans une position impossible puisque c’est elle qui porte la responsabilité y compris pénale à titre personnel pour ses membres de laisser fonctionner une centrale dangereuse et que le pouvoir politique semble vouloir lui refuser toute possibilité de remplir sa mission dans des conditions raisonnables.
Enfin, ce choix est suicidaire sur le plan économique, industriel et financier pour la France. Avec le Brexit, qui va du reste poser des problèmes juridiques redoutables pour la centrale nucléaire de Hinckley Point C, la France va se trouver quasiment le seul pays d’Europe occidentale à choisir la voie du nucléaire, et en toute hypothèse le seul pays européen à concentrer la quasi-totalité de ses efforts d’investissement sur cette technologie. Non seulement ce choix nous expose à des difficultés croissantes avec nos voisins particulièrement inquiets de l’état de nos centrales, mais encore il nous fait perdre un temps précieux qui rendra totalement illusoire tout espoir de récupérer le retard abyssal que nous avons pris en matière d’énergies renouvelables.
En définitive, et dans la mesure où le lobby nucléaire veut à tout prix relancer la construction des centrales nucléaires en France, le report à 2035 équivaut en réalité au maintien d’une filière nucléaire majoritaire dans le mix énergétique français.
II. Une nouvelle atteinte aux droits de l’environnement
Ce projet de loi est l’occasion pour le Gouvernement d’apporter un élément supplémentaire des tricotages scientifiquement organisés du droit de l’environnement. En effet, il prévoit sous le vocable habituel de simplification de l’évaluation environnementale que l’examen au cas par cas, qui jusqu’à présent était confié à l’autorité environnementale, une autorité indépendante, sera désormais confié à une autorité compétente très probablement le préfet de région. Il s’agit d’une régression majeure alors même que la réduction drastique des cas dans lesquels l’étude d’impact et l’évaluation environnementale sont désormais exigées fait l’objet d’une mise en demeure de la Commission Européenne à l’encontre de la France ; celle-ci n’hésite pas à appuyer sur l’accélérateur et à se donner les moyens de réduire encore les cas dans lesquels une évaluation environnementale ou une étude d’impact seront réclamés. On aurait pu penser que cette disposition ne concernait que les ouvrages d’énergies renouvelables afin de faciliter leur installation. Il n’en est rien et, le Conseil d’État dans son avis relève que cette disposition « concerne en fait de façon plus générale l’ensemble des projets qui relèvent d’un examen au cas par cas en vue d’une éventuelle évaluation environnementale. Elle a ainsi un caractère qui dépasse le domaine de l’énergie et du climat ». Le Conseil d’État propose donc que soit modifié l’intitulé du chapitre comportant ces dispositions pour lui donner la portée adaptée en faisant référence à l’évaluation environnementale et par suite de compléter l’intitulé du projet de loi par une référence à l’environnement. On ne saurait être plus clair !
III. Les dispositions mineures qui font l’objet d’une communication majeure
Présentée par le Président de la République comme une innovation majeure, le Haut Conseil pour le climat remplace le comité technique du conseil national pour la transition énergétique. Aucun pouvoir réel n’est donné à cet organisme qui ne pourra faire que des recommandations, a posteriori et ne disposera d’aucun droit a fortiori de veto sur des orientations qui pourraient se révéler radicalement opposées à une lutte effective contre les dérèglements climatiques. Le Conseil d’État ne s’est du reste pas trompé en indiquant « que, quelle que soit son opportunité et l’importance qui lui est attachée, ses attributions sont purement consultatives et son intervention ne peut être regardée comme garantissant le respect d’un principe de valeur supra réglementaire ; elle ne relève pas de la loi mais du pouvoir réglementaire ». Cette nouvelle institution est donc ramenée à ce qu’elle doit être, et le conseil d’État en profite pour attirer l’attention du Gouvernement sur la multiplication des organismes créés en matière climatique.
Le second sujet apparemment beaucoup plus important est celui concernant la sortie du charbon applicable à partir du 1er janvier 2022. Il s’agit de définir un plafond d’émission pour les installations de production électrique à partir d’énergies fossiles ce qui entraînera une réduction du temps de fonctionnement et par voie de conséquence un manque total de rentabilité. Mais, il n’est prévu d’interdire purement et simplement les centrales à charbon à cette date, ce qui avait été initialement envisagé.
IV. La résolution de problèmes contentieux rencontrés par l’administration
Le texte comporte un certain nombre de dispositions concernant les certificats d’économie d’énergie (C2E) notamment pour renforcer les sanctions pénales. Il faut souligner le fait que les conditions de fonctionnement du pôle national des C2E sont catastrophiques. En effet, ce pôle qui n’est doté que d’une quinzaine de fonctionnaires a à gérer des milliers de dossiers d’autant plus volumineux, pour éviter la fraude qui s’est au cours des années démultipliée, au point d’exiger des documents de plus en plus ténus. Après une première période au cours de laquelle quasiment aucun contrôle effectif n’a été réalisé, de très nombreuses fraudes se sont produites dues pour une large part à un manque complet de vigilance. L’organisme Tracfin ayant pris le mors aux dents, le système a viré de bord au point de bloquer énormément de dossiers, pour des motifs souvent extrêmement futiles permettant en réalité au pôle de gagner du temps dans l’examen réel des dossiers. Cette situation a conduit de nombreuses petites entreprises à déposer le bilan alors même qu’elles n’étaient pas en situation irrégulière. Le texte dote donc le pôle de davantage de pouvoir de sanction, mais le problème n’est pas là. Il est dans l’insuffisance grossière des moyens, dans un contrôle tatillon des petites entreprises, dans un laxisme incompréhensible à l’égard d’autres structures. En fait, ce texte se donne quelque part bonne conscience alors même que le système des C2E qui est intelligent et excellent risque d’être mis en cause par une incohérence entre les moyens mis en œuvre par l’État et la croissance exponentielle du recours aux C2E.
De même, le texte autorise la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à transiger dans la mesure où de très nombreuses procédures sont en cours (15 000 litiges devant tribunal administratif de Paris et 45 000 contestations) alors même que la Cour de justice de l’Union européenne à travers l’affaire Messer France (aff. C–103/17) a interdit le remboursement de la part de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui n’a pas été affecté à sa finalité environnementale.
V. La transcription des directives européennes
Le texte renvoie à des ordonnances pour transcrire les directives européennes concernant l’énergie et qui ont été adoptées à la fin de l’année 2018 ou sont en voie d’adoption. Il s’agit de textes tout à fait majeurs qui peuvent révolutionner en réalité le modèle énergétique de la France s’ils sont convenablement transcrits, ce dont on peut douter. Il conviendra donc de suivre avec la plus grande attention les projets de texte lorsqu’ils seront connus.
* * *
Enfin, cette petite loi brille également par ses silences. Silence sur les améliorations et les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour que des objectifs en matière d’efficacité énergétique, de rénovation des bâtiments, de mobilité puissent avoir une chance d’être atteints. Silence sur des principes généraux qui devraient s’appliquer à toutes les décisions des pouvoirs publics qui ont une incidence négative tant sur la lutte contre le dérèglement climatique que sur les capacités de résilience. Silence sur la manière dont les collectivités et les PME pourraient être mieux accompagnées dans la transition énergétique, etc…
En définitive, cette petite loi sur l’énergie a un triple objectif dont l’intérêt pour le climat et l’environnement est bien faible puisqu’il s’agit, pour l’essentiel, de régressions et de facilitation de contentieux administratif :
– Rendre possible l’adoption de la PPE en modifiant, en réalité en transformant les objectifs de la loi de 2015 par l’abandon de la réduction de la part du nucléaire ;
– Réduire le champ des évaluations environnementales ;
– Résoudre quelques difficultés de l’administration française qu’il s’agisse des milliers de recours pendant devant la CRE, des difficultés auxquelles est confronté le pôle national des C2E.
C’est une bien petite loi pour un bien grand sujet !
Corinne LEPAGE
Avocate à la Cour
Huglo Lepage Avocats