Le projet de loi intitulé projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 comporte quatre titres et dix-huit articles, qui traitent de très nombreux domaines de notre droit, fortement impactés par la situation actuelle.
Le titre est 1 est consacré aux dispositions électorales (I), le titre 2 traite de l’état d’urgence sanitaire (II) et enfin le titre 3 est dédié aux mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie de Covid-19 (III).
I. Concernant les élections municipales
A circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles.
L’expression démocratique s’est heurtée, il y a quelques jours, à une crise sanitaire sans précédent.
Si le premier tour des élections municipales a été maintenu, il devait évidemment en être autrement du second tour.
Le projet de loi prévoit que le second tour des élections municipales est repoussé au plus tard au moins de juin 2020.
Si la date n’est pas encore connue, elle sera fixée par décret en Conseil des ministres et dépendra, à l’évidence, de l’évolution de l’épidémie de Covid-19. D’ailleurs, à cet effet, un rapport du gouvernement fondé sur une analyse du comité scientifique sera adressé au Parlement, au plus tard, le 10 mai 2020. Ce rapport sera l’occasion de faire le point sur la situation sanitaire et se prononcera sur la tenue du second tour des élections municipales.
Mais qu’en est-il des conseillers élus au premier tour ?
Pour les conseillers (municipaux, communautaires, d’arrondissement ou de Paris) élus au premier tour, la prise de fonction est immédiate. Exception faite pour les communes de moins de 1000 habitants où le nombre de conseillers élus est inférieur à la moitié du nombre de sièges à pourvoir. Dans ce cas, les conseillers élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour.
Et les dépenses de campagne dans tout cela ?
En effet, si certains voient leur campagne terminée en raison de leur élection au premier tour, d’autres ne sont pas dans ce cas.
Là encore, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.
Le projet de loi prévoit que la campagne électorale pour le second tour sera ouverte à compter du deuxième lundi qui précède le scrutin et que le plafonnement des dépenses prévu par le code électoral sera majoré par décret.
Ledit projet prévoit également que les frais de campagne engagés pour la propagande notamment (affiches, coût du papier, frais d’impression, frais d’affichage…) en vue du second tour initialement prévu le 22 mars prochain, seront remboursés.
Quand auront lieu les prochaines élections municipales ?
Puisque certains conseillers sont élus en mars 2020 et que d’autres seront élus ultérieurement, quand auront lieu les prochaines élections municipales ?
Le projet de loi prévoit qu’elles auront lieu, indifféremment sur l’ensemble du territoire français, en mars 2026.
II. Concernant l’état d’urgence sanitaire
Le titre 2 du projet de loi traite de l’état d’urgence sanitaire. Il est déclaré par décret en conseil des ministres, pour une ou plusieurs circonscriptions à l’intérieur desquelles des zones d’urgence sanitaire sont définies. Cette déclaration est valable 12 jours au-delà desquelles une nouvelle loi doit fixer la durée définitive de l’état d’urgence, sauf démission du gouvernement ou dissolution de l’Assemblée nationale, cas dans lequel la loi devient caduque au bout de 15 jours.
Cette déclaration permet au Premier Ministre de prendre par décret des mesures attentatoires aux libertés à savoir les libertés d’aller et venir, d’entreprendre, de se réunir. Les réquisitions de tout bien et de tout service sont autorisées dans le but de lutter contre la catastrophe sanitaire, et à condition d’être proportionnées, ce qui bien entendu ouvre la porte à un contentieux administratif ultérieur le cas échéant.
L’indemnisation des réquisitions est régie par le code de la défense et plus précisément les articles L.2231-1 et suivants de ce code.
Ces pouvoirs exceptionnels, qui sont par définition liberticides (ce qui ne signifie pas qu’ils ne sont pas justifiés par la situation actuelle), ne s’arrêtent pas au premier ministre puisque le ministre de la santé peut également prendre, par voie d’arrêté, toute mesure générale ou individuelle visant à lutter contre la catastrophe. Ces mesures devant naturellement être proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.
Et, les préfets peuvent prendre les mesures d’application y compris des mesures individuelles qui doivent être transmises au Procureur de la République. Si les mesures générales ou individuelles n’excèdent pas un département, le préfet est habilité à les décider lui-même après le l’avis du directeur général de l’ARS.
Ces mesures peuvent faire l’objet d’une exécution immédiate.
Enfin, en cas de violation de manquement aux obligations, la loi prévoit une amende de quatrième classe, hormis pour le fait de ne pas respecter les réquisitions, qui est un délit puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 € d’amende.
Ces mesures qui peuvent s’avérer effectivement extrêmement contraignantes et qui fondent le confinement auquel nous sommes aujourd’hui contraints, sont parfaitement compréhensibles et nécessaires dans le contexte actuel.
Néanmoins, il conviendra d’être extrêmement attentif pour éviter des débordements et l’utilisation de ces mesures « exceptionnelles » à d’autres fins que des fins strictement sanitaires.
Or, du fait de la quasi-fermeture des juridictions administratives, il n’est pas certain qu’un référé liberté, dans le cas où une mesure tout à fait excessive et disproportionnée serait prise, puisse être jugé dans les 48 heures d’usage.
Il conviendra de voir si le Parlement souhaite mettre un ou deux verrous à l’utilisation de ces dispositions.
III. Concernant les mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie de Covid-19
Le titre trois qui regroupe les articles 17 et 18, organise les mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Ces mesures permettent au gouvernement d’intervenir par ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi (ce qui est un délai relativement long par rapport à un confinement prévu au départ pour 15 jours probablement pour 30 voire 45 jours) et comprennent toute une série de mesures de soutien à l’activité économique.
Il s’agit de soutien à la trésorerie des entreprises , des aides directes ou indirectes pour les entreprises dont la viabilité est mise en cause, le fond de solidarité étant partagé avec les collectivités locales qui devront néanmoins donner leur accord.
Les mesures pourront intervenir en matière de droit du travail, de droit de la sécurité sociale et de droit de la fonction publique pour limiter les ruptures de contrat de travail : recours à l’activité partielle, réduction du reste à charge pour l’employeur, adaptation des modalités de mise en œuvre des pertes de revenus pour les indépendants…
Les modalités d’attribution de l’indemnité complémentaire prévue à l’article L.1226 -1 du code du travail pourront être adaptées (il s’agit d’une indemnité complémentaire à l’allocation journalière prévue à l’article L.321-1 du code de sécurité sociale).
Les modalités d’acquisition des congés payés pourront être modifiées unilatéralement par l’employeur, de même que les jours de réduction de temps de travail et de repos affectés à un compte épargne temps. L’objectif est très probablement de pouvoir intégrer à ses jours de repos (quel qu’en soit la nature), les jours non travaillés du fait du coronavirus.
Puis, suit toute une série de mesures permettant des dérogations à la durée du travail, au versement de l’intéressement, au suivi de l’état de santé des travailleurs, de l’information et de la consultation des instances représentatives du personnel, ou encore de la formation professionnelle.
Des modalités nouvelles pourront être prévues en ce qui concerne les droits et obligations des entreprises à l’égard de leurs clients et fournisseurs ainsi que pour les coopératives à l’égard des coopérateurs en ce qui concerne les délais et pénalités (en particulier pour les contrats de vente de voyages et séjours).
Les règles de délai d’exécution et de résiliation prévues par les contrats publics et le code de la commande publique ainsi que les pénalités contractuelles pourront également être modifiées.
Le droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté peut également être modifié.
Enfin, l’article 17 1° h prévoit la possibilité de reporter et d’étaler le paiement des loyers, des factures d’énergie pour les locaux professionnels, de renoncer aux pénalités financières ou à la suspension, interruption ou réduction de fourniture du fait du non-paiement de ses factures.
De même, le délai d’expulsion locative pour la période d’hiver pourra être modifié.
La deuxième partie de l’article 17 prévoit une série de mesures afin de faire face aux conséquences de la situation sur le plan juridique.
Globalement, il s’agit de reporter les délais.
Tout d’abord, et c’est essentiel pour le contentieux, les délais applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes, aux consultations du public préalables à la prise d’une décision, les délais de réalisation par les entreprises ou les particuliers des travaux, de contrôle ou de prescriptions de toute nature, pourront être modifiés ; les délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, cessation d’une mesures ou déchéance d’un droit, cessation d’une mesure (à l’exception des mesures privatives de liberté), pourront être adaptés, interrompus, suspendus ou reportés.
S’agissant des juridictions, les règles relatives à la compétence territoriale, aux délais de procédure, à la publicité des audiences, au recours à la visioconférence, aux modalités de saisine de la juridiction et du respect du contradictoire pourront être modifiées et adaptées.
De même, en matière pénale, pour permettre l’intervention à distance de l’avocat , les règles seront adaptées.
Les conditions de réunion et de délibération de toutes les assemblés, organes des personnes morales, ou encore le droit des sociétés relatif à la tenue des assemblées générales, seront simplifiés et adaptés, de même que les règles relatives à l’établissement, l’arrêt, l’audit, la revue et /ou l’approbation des comptes.
Il en va de même en ce qui concerne la possibilité pour les établissements publics et instances collégiales de tenir des réunions dématérialisées.
S’agissant de la délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur, des modalités de déroulement des concours, examens d’accès à la fonction publique, elles pourront être modifiées.
Des règles ont également été prévues pour faire garder les jeunes enfants, pour assurer l’accompagnement des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ainsi que des personnes en situation de pauvreté.
La continuité du droit des assurés sociaux de leurs accès aux soins et au droit, sera assurée par des modifications jugées nécessaires des codes correspondants.
Enfin, pour assurer le fonctionnement des collectivités locales et la continuité budgétaire et financière de ces dernières et des établissements publics locaux, des dérogations sont prévues à toutes les règles de fonctionnement, de délégation, d’exercice des compétences, d’approbation des budgets et des procédures d’enquête publique.
La loi de ratification devra être déposée devant le parlement dans un délai de deux mois.
Par ailleurs, les délais dans lesquels le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, des mesures relevant du domaine de la loi sont prolongés de quatre mois, lorsqu’ils n’ont pas expiré à la date de publication de la présente loi.
Les délais fixés pour le dépôt de projets de loi de ratification d’ordonnances publiées avant la date de publication de la présente loi sont prolongés de quatre mois, lorsqu’ils n’ont pas expiré à cette date.
Au total, lorsque le Président de la République a fait référence à un état de guerre, c’est bien de cela dont il s’agit sur le plan juridique puisque c’est tout notre droit qui est interpellé et qui peut être modifié par ordonnance.
Si l’on peut tout à fait comprendre que l’état d’urgence sanitaire et économique justifie des adaptations de notre système juridique, il faut espérer – compte tenu des malheureux précédents que nous avons vécus depuis quelques mois- que cette capacité juridique ne sera pas utilisée pour faire passer des réformes auxquelles les Français étaient particulièrement réticents.
Il est dommage que le projet de loi ne prévoit pas le retour à l’état de droit initial dès lors que les circonstances de l’état d’urgence sanitaire économique auront pris fin.
Cela aurait permis de lever toute ambiguïté quant à l’étendue dans le temps des transformations majeures auxquelles nous devons nous attendre.
Lire le projet de loi : Projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Coivd-19
Lire l’avis du Conseil d’Etat : Avis du Conseil d’Etat _ pjl19-376-avis-ce
Corinne LEPAGE
Avocate à la cour – Docteur en droit
Huglo Lepage Avocats
et
Madeleine BABES
Avocate à la cour
Huglo Lepage Avocats