Affaire dite du “poulet à la dioxine”

Affaire SA AIG Europe contre SAS Aoste management cour d’appel de Versailles troisième chambre 7 janvier 2005 à la dioxine

Au tout début de l’année 1999 éclate l’affaire dite des « poulets à la dioxine » en Belgique.

L’Union Européenne lançait une alerte à la dioxine le 27 mai 1999 en présence de taux très supérieurs à la moyenne et à la norme dans des produits belges (poulets et œufs) provenant de farines à base de graisses animales. Le 28 mai 1999, la Belgique décidait de retirer ces produits des rayons des magasins.

Présentation de l'affaire par Corinne Lepage

Date de l'affaire

Début en 1999 jugement en 2005

Le cas

Le 4 juin 1999, le Ministre français de l’Agriculture prenait un arrêté suspendant la commercialisation de tous les produits issus d’animaux élevés en Belgique entre le 15 janvier 1999 et la date d’entrée en vigueur dudit arrêté ainsi que tous les produits destinés à la consommation humaine ou animale qui en étaient issus et les denrées alimentaires préparées à partir de tels produits.
Deux arrêtés ministériels complémentaires des 15 juin et 2 juillet 1999 précisaient que des dérogations pouvaient être accordées pour des produits dont les analyses révèleraient des teneurs en dioxine inférieures à 5 picogrammes par gramme de graisse animale et pour les produits munis de certificats attestant qu’ils n’étaient pas issus des élevages soumis à restriction par les autorités belges.
La société AOSTE MANAGEMENT décidait, en application du principe de précaution, de retracer le parcours des produits provenant de ses fournisseurs belges pour la période considérée, d’identifier les clients livrés et de retirer plusieurs tonnes de produits concernés par l’interdiction ministérielle pour les détruire et/ou les analyser.
Elle sollicitait de son assureur, AIG Europe, le bénéfice de la garantie souscrite.
L’assureur déniait néanmoins sa garantie au motif que la condition de contamination visée par le contrat d’assurance n’était pas remplie en l’espèce.
La société AOSTE MANAGEMENT saisissait alors le Tribunal de grande instance de Nanterre d’une demande principale de condamnation de son assureur, AIG EUROPE, à l’indemniser du préjudice subi.
Par jugement du 27 janvier 2003, Tribunal de grande instance de Nanterre accueillait la demande de la société AOSTE MANAGEMENT et condamnait l’assureur à lui verser près de 3 millions d’euros en réparation de son préjudice.
Ce jugement était frappé d’appel par l’assureur, AIG EUROPE.
Par arrêt avant dire droit du 7 janvier 2005, la Cour d’appel de Versailles confirmait le principe de la garantie par l’assureur du préjudice subi par la société AOSTE MANAGEMENT, accordait à cette dernière une provision à valoir sur son préjudice global et ordonnait une expertise judiciaire pour fixer définitivement le préjudice subi.
Si les produits de la société AOSTE MANAGEMENT n’étaient pas contaminés au-delà des 5 picogrammes par gramme de graisse animale, la Cour d’appel a considéré que la garantie de l’assureur visait deux types d’aléas dont une contamination éventuelle ou un risque de contamination.
La Cour a jugé que « c’est la dangerosité des produits en raison de la provenance belge de ses composants du produit lui-même qui a justifié les retraits et non les caractéristiques propres des produits de la société Aoste management SAS, objet des retraits, lesquelles n’étaient pas connues et n’ont pu l’être qu’après les retraits réalisés. Qu’à suivre le raisonnement de la société AIG Europe, il faudrait attendre les effets sur la population du produit suspecté avant de décider d’ordonner les retraits dans le seul cas où ces produits s’avéreraient nocifs ce qui est difficilement acceptable. Qu’en conséquence il convient de dire et juger que la société AIG Europe doit sa garantie à la société Aoste management SA pour le sinistre survenu en 1999 à la suite de l’alerte à la dioxine donnée par les pouvoirs publics et de confirmer le jugement déféré ».

L’importance de l’arrêt

Cet arrêt est très important à deux titres. D’une part, c’est une décision essentielle en droit des assurances puisque les Juges ont considéré que les préjudices induits par une mesure de précaution ou de prévention pouvaient être couverts par un contrat d’assurance. Ce n’était pas une évidence mais la Cour d’appel de Versailles, recherchant tous les éléments qui conduisaient à l’interprétation du contrat, l’a très clairement jugé.
D’autre part, c’est l’un des premiers arrêts qui applique au droit privé le principe de précaution. Si le mot ne figure pas en tant que tel dans l’arrêt, le Tribunal de grande instance de Nanterre, dans son jugement du 27 janvier 2003, avait pour sa part précisé que « les termes du contrat marquant l’hypothèse et le conditionnel ont eu pour effet d’étendre la garantie de l’assureur à la prévention des risques ou au principe de précaution à côté du risque réalisé ».
La Charte de l’environnement de 2004 a inséré le principe de précaution au plus haut niveau de notre droit, c’est-à-dire au niveau constitutionnel, en ces termes : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Mais, ce principe ne concerne pas les entreprises privées.
La décision précitée est le premier à appliquer ce principe au domaine de l’assurance et l’un des premiers à le faire au bénéfice d’une entreprise privée.
Depuis, le manque de prévention voire de précaution est reconnu par la Cour de Cassation qui applique l’article 110-1 du code de l’environnement, issu de la loi Barnier du 2 février 1995.
Le principe de précaution s’applique également en matière pénale avec le délit de mise en danger délibérée de la vie d’autrui qui, pour être mis en œuvre, nécessite la violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence. En revanche en l’absence d’une telle obligation, le délit n’est pas constitué.

L’intérêt aujourd’hui

Le moins que l’on puisse dire est que les crises sanitaires n’ont pas manqué depuis celle du poulet à la dioxine en 1999. La dernière en date, celle du lait Lactalis, mérite d’être regardée à la lumière de l’arrêt qui précède. Le retrait très tardif des produits fabriqués à Craon (Mayenne) ne manque pas d’interpeller sur la responsabilité de l’État qui aurait été – ou pas – informé par les services vétérinaires de la présence de la souche de salmonelles en temps et en heure mais aussi et surtout de l’entreprise tant sur les mesures de prévention qui ont été – ou plutôt n’ont pas été – prises que sur l’application du principe de précaution qui aurait dû conduire sans doute à suspendre la production dès que la source de salmonelles avait été détectée dans l’usine, ce qui aurait permis de ne pas procéder à l’immense opération de retrait, même très tardive, des produits en France et dans 66 pays du monde.
Plus tard, se posera très certainement aussi la question des rapports entre Lactalis et ses assureurs et de la couverture ou non de ces retraits par la garantie assurancielle.
Ainsi, cet arrêt la Cour d’appel de Versailles garde-t-il, malheureusement, tout son intérêt 13 ans plus tard.